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1679. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

La veuve de Louis Racine, la bru du grand Racine, vécut fort longtemps et fort avant dans le xviiie  siècle ; elle vit la Révolution française et mourut en 1794, âgée de 93 ou 94 ans. […] Ami du poète novateur Le Brun, célébré et magnifiquement pleuré par lui, par ce futur ami d’André Chénier, le jeune Racine, de qui son père jugeait un peu sévèrement tant qu’il vécut, disant de lui, comme d’un jeune présomptueux, « qu’il voudrait tout savoir et ne rien étudier », était-il d’étoffe à être un poète novateur aussi, à oser dans le sens moderne, à désoler, puis à enorgueillir ce père redevenu et resté tant soit peu bourgeois, à l’étonner par un classicisme repris de plus haut ou par un romantisme anticipé, à être un peu plus tôt, et à la face de Voltaire vieillissant, quelque chose de ce qu’André Chénier, a été plus tard ?

1680. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

La Rochefoucauld a consigné l’élixir amer de cette expérience dans des Réflexions et des Maximes immortelles qui vivront autant que la nature humaine, et contre lesquelles elle aura jusqu’à la fin à se débattre, Pascal a, certes, grandement profité de cette vue de la Fronde, et il conclurait en politique aussi vertement et aussi crûment qu’un Machiavel, s’il n’était avant tout un pénitent qui n’a de hâte que pour s’agenouiller et pour aller tout mettre au pied de la croix. […] Beaucoup de choses l’auraient irrité, bien peu l’eussent étonné, j’imagine, s’il avait vécu la centaine.

1681. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Israël et le Magnificat ; que tout ce qu’il y a de poésie dans le culte chrétien, l’encens, les chasubles brodées d’or, les longues processions avec des fleurs, léchant, le chant surtout aux fêtes solennelles, grave ou lugubre, tendre ou triomphant, l’a vivement exalté ; qu’il a respiré cet air, vécu de cette vie, et que, par conséquent, il a dû pénétrer plus avant dans le sens et l’intelligence de la musique chrétienne que beaucoup de jeunes gens qui, nourris des traditions de collège et ne voyant dans la messe qu’une corvée hebdomadaire, ne se seraient jamais avisés d’aller chercher de l’art et de la poésie dans les cris inhumains d’un chantre à la bouche de travers. » Et plus loin, insistant, sur le caractère propre, à ces chants grandioses ou tendres, et qu’il importe de leur conserver sans les travestir par trop de mondanité ou d’élégance, devançant ce que MM. d’Ortigue et Félix Clément ont depuis plaidé et victorieusement démontré, il dira (qu’on me pardonne la longueur de la citation, mais, lorsque je parle d’un écrivain, j’aime toujours à le montrer à son heure de talent la plus éclairée, la plus favorable, et, s’il se peut, sous le rayon) : « J’ai dit tout à l’heure, en parlant du Dies iræ, que je ne connaissais rien de plus beau ; j’ai besoin d’y revenir et de m’expliquer. […] Il me représente quantité d’esprits comme il y en a dans notre pays et à notre époque, mais comme il n’y en a peut-être pas assez, qui vont au fait, à l’utile ; qui ne sont pas préoccupés plus qu’il ne convient de la forme ; qui acceptent ce qui est bien, avec bon sens et sans chicane ; dont l’opposition n’a ni arrière-pensée, ni amertume ; qui élèvent plutôt qu’ils ne rapetissent les questions, qui ne les enveniment jamais ; qui peuvent sans doute préférer les méthodes et les solutions libérales, mais qui ne tiennent pas pour suspect tout bienfait qu’apporte un gouvernement fort ; qui prennent le régime sous lequel ils vivent, avec le franc et sincère désir d’en voir sortir toutes les améliorations sociales dont il est capable.

1682. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

Vivront-ils les enfants de ce long hyménée ? […] Mais tel aveuglement en ce monde est le nôtre, Qu’on nous voit à leur sort vivre comme étrangers.

1683. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. »

Nul exemple ne me paraît plus propre à montrer à quel point des hommes, même énergiques de trempe et de volonté, sont assujettis et soumis au milieu où ils vivent, dépendant des circonstances, changeant de face sans changer de caractère ; combien il est juste, même après des excès et des torts, de ne pas désespérer de ceux qui ont une valeur réelle et un vertueux principe d’énergie ; comment le malheur éprouve et épure, même à leur insu, certaines natures restées saines au fond ; et ce que peuvent devenir d’honorable et d’utile pour la société et pour la patrie ceux qui, hors des cadres réguliers et durant l’orage des interrègnes, dans la convulsion des mouvements révolutionnaires, cherchaient vainement leur niveau et leur emploi. […] Il en est aux déclamations du temps : « J’ai vu les braves gardes nationaux, disait-il, et je l’atteste parce que je l’ai vu, chacun de ces volontaires est un héros. » Pendant vingt-deux mois de Convention il vécut dans une fièvre ardente.

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