Lerminier a voulu une fois encore montrer, comme il le dit, l’image des pères aux générations qui chaque jour s’en éloignent et n’ont pas reçu, ainsi que nous, cette tradition toute vivante. […] Béranger, le poète, me disait un jour qu’une fois que les hommes, les grands hommes vivants, étaient faits types et statues (et il m’en citait quelques-uns), il fallait bien se garder de les briser, de les rabaisser pour le plaisir de les trouver plus ressemblants dans le détail ; car, même en ne ressemblant pas exactement à la personne réelle, ces statues consacrées et meilleures deviennent une noble image de plus offerte à l’admiration des hommes.
Plus pénétrant que La Bruyère et que Lesage, opérant sur la matière vivante, toujours en mouvement et qui se dérobe à chaque instant, il démonte les actions avec une sûreté magistrale, dissèque les sentiments, saisit les plus fugitives traces des forces qui composent la vie morale. […] De là vient que ses portraits sont si vivants, si vrais, quoique souvent si injustes.
Les caractères sont d’un relief remarquable, d’une analyse un peu sommaire, mais bien vivants et dramatiques en leurs énergiques raccourcis. […] La moitié du rôle de la femme, une détraquée honnête, mais surtout les trois rôles d’hommes qui sont de vivantes expressions de la veulerie contemporaine, chacun avec sa physionomie propre, font de la pièce une des excellentes études de mœurs que nous ayons.
De tous ceux dont le sang coule dans ses veines et, en particulier, de ses derniers aïeux il tient des puissances qui existent en lui à l’état latent, des germes qui sommeillent engourdis, mais vivants, dans les profondeurs de son être. […] Et je ne dis rien encore de ce milieu artificiel que se fait chacun de nous en lisant tel journal, en poursuivant tel genre d’études, en choisissant des auteurs favoris, en se créant par la lecture une intimité avec des vivants et des morts dont il absorbe la substance et la mœlle !
Sans cette communication de l’homme vivant à l’homme vivant, et de l’homme mort à l’homme qui naît sur la terre, l’homme serait resté un être éternellement isolé, le grand sourd et muet des mondes ; il y aurait eu des hommes, il n’y aurait point eu de société humaine, il n’y aurait point eu d’humanité.