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1223. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Le jour, je me promène sous des hêtres pareils à ceux que Saint-Amant dépeint dans sa Solitude ; et, depuis six heures du soir que la nuit vient, jusqu’à minuit qui est l’heure où je me couche, je suis tout seul dans une grosse tour, à plus de deux cents pas d’aucune créature vivante : je crois que vous aurez peur des esprits en lisant seulement cette peinture de la vie que je mène… Les circonstances qui précédèrent et suivirent ce mariage furent assez singulières, et achevèrent de donner à Lassay, de lui confirmer aux yeux du monde le caractère de bizarrerie et d’excentricité qui tenait plus aux personnes auxquelles il s’était lié, qu’à lui-même. […] Vivant avec ces princes de la maison de Condé, il les a connus à fond, et il les a peints en traits assez inaperçus jusqu’ici, mais ineffaçables.

1224. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

« Inutile à mon pays, englouti sous les flots révolutionnaires, assourdi par les sons discordants de mille intérêts blessés, sans amis, entouré de haine et d’humeur, je quittai un pays qui, ne vivant que de souvenirs, était blessé à la fois dans sa gloire passée et dans ses intérêts présents et à venir. » Ainsi parlait Bonstetten de cette Berne où il s’était toujours senti dépaysé, mais qui dès lors n’était plus tenable après les événements de 1798. […] On dirait qu’à Genève on aime plus les morts que les vivants ; du moins on y sympathise plus avec les peines qu’avec les plaisirs.

1225. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Pour maintenir la tradition, il ne suffit point toutefois de la bien rattacher à ses monuments les plus élevés et les plus augustes ; il convient de la vérifier, de la contrôler sans cesse sur les points les plus rapprochés, de la rajeunir même, et de la tenir dans un rapport perpétuel avec ce qui est vivant. […] Vous me serez tout d’abord utiles, messieurs, en me les rappelant ; vous me le serez plus encore (et c’est un bienfait salutaire que j’attends de vous), en m’offrant journellement, dans vos groupes de sérieuse et fervente jeunesse, la meilleure et la plus vivante réponse à ce qui est trop souvent le dernier mot, le dernier résultat stérile d’une vie d’isolement et de réflexion trop concentrée.

1226. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

Je vois bien que vous allez partir, et il nous faut, de notre vivant, nous séparer de vous. […] Il pleure de ses yeux, et très-fortement soupire : « Or çà, doña Chimène, la mienne femme très-accomplie, je vous aime autant que mon âme ; déjà, vous le voyez, qu’il faut, nous vivants, nous séparer.

1227. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

Non, il n’est jamais permis à l’art humain d’être vrai de cette sorte ; quand même on aurait le sujet vivant, l’espèce sociale en personne sous les yeux, c’est là encore, si l’on peut dire, de l’art contre nature. […] Ce langage du beau siècle et qui en reste la manifestation vénérée, nous l’avons appris d’hier, nous le contemplons par l’étude, il subsiste vivant dans notre mémoire, il retentit à nos oreilles, mais nos lèvres ne savent plus le proférer.

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