À travers ces premiers mécomptes et ces diverses écoles, son éducation s’achevait, il apprenait la vie et le monde réel. […] Je ne puis que courir sur cette première partie de la vie de Mallet du Pan. […] Ni témérité ni faiblesse, ce fut la devise de toute sa vie. […] Ils trouvent commode qu’un homme s’occupe tous les huit jours, au risque de sa vie, de sa liberté, de ses propriétés, de leur faire lire quelques pages qui amusent leurs passions durant l’heure du chocolat ». […] On croit qu’il va se limiter lui-même ; mais ce genre de raisonnement, qui peut être vrai pour une période historique de quelque étendue, est tout à fait trompeur et décevant pour les courtes périodes d’années qui sont si essentielles dans la vie d’une génération : Tandis que cette foule de gens d’esprit, dit-il, pour qui la Révolution est encore une émeute de séditieux, attendent, comme le paysan d’Horace, l’écoulement du ruisseau ; tandis que les déclamateurs phrasent sur la chute des arts et de l’industrie, peu de gens observent que, par sa nature destructive, la Révolution amène nécessairement la République militaire.
Celles qui le firent le plus connaître dans la première partie de sa vie furent les pièces qu’il adressa à Voltaire et à Buffon. […] Osons toucher et sonder ses plaies : elles sont dans sa vie et dans son caractère. […] Puisqu’il fait appel à l’Antiquité, nous dirons que Le Brun, dans ces vers odieux, nous rappelle un ancien poète grec, d’un bien vilain nom, Hipponax, « dont la médisance, dit Bayle, n’épargna pas même ceux à qui il devait la vie, qui etiam parentes suos allatravit ». […] Ce qui manqua donc à Le Brun pour aider son génie lyrique naturel et pour le nourrir dignement, nous le voyons, ce fut une vie chaste et pure au sens poétique, une vie studieuse et recueillie au sein de laquelle il aurait invoqué dans le silence des nuits, non les Furies, mais les Muses.
Sans trop serrer de près les questions qui se rattachaient aux deux époques critiques de la vie du maréchal, j’avais entendu causer quelques-uns de ses amis, et j’avais été frappé du degré de chaleur et d’affection que tous mettaient à le défendre et à continuer de l’aimer. […] Du milieu de sa vie de campagne, il appartenait au groupe de ceux qu’on appellera bientôt les patriotes de 89, voulant la liberté avant les excès, aimant la monarchie sans la faveur qui la corrompt. […] Voilà le vrai maréchal Marmont dans toute cette jeunesse et cet éclat d’émotion, qui n’abandonna son cœur qu’avec la vie. […] Les voilà donc tous trois sur le pavé de Paris, « moi, sans autorisation régulière, dit Marmont, Junot attaché comme aide de camp à un général qu’on ne voulait pas reconnaître, et Bonaparte, sans emploi, logés tous trois Hôtel de la Liberté, rue des Fossés-Montmartre, passant la vie au Palais-Royal et au théâtre, sans argent et sans avenir ». […] Et moi, je crois qu’il faut dire, en embrassant toute la condition humaine : « Il est mieux qu’il ait vécu pour montrer ce que peut le malheur, la force des circonstances, une certaine fatalité s’attachant, s’acharnant à plus d’une reprise à une belle vie, un cœur généreux ressentant l’outrage sans en être abattu, sans en être aigri, et finalement une belle intelligence trouvant en elle des ressources pour s’en nourrir et des résultats avec lesquels elle se présente aujourd’hui, en définitive, devant la postérité. » 1.
Les causes de l’émotion esthétique sont, contrairement aux causes de l’émotion réelle, une hallucination que l’on sait inconsciemment être fausse, que l’on sent n’avoir rien de menaçant, une hallucination émouvante, dont les images sans cesse combattues en vertu de leur caractère factice, réprimées et modifiées par tout le cours ambiant de la vie, par la conscience générale qu’à leur sujet sur sa sécurité, de sa non souffrance, — cessent d’agir comme des images réelles, demeurent sans cohésion avec le reste du cours mental, ne s’associent pas à des prévisions positives de peine ou de plaisir personnels, et restent ainsi seulement excitantes, comme on n’éprouve d’un assaut avec des épées mouchetées, que l’exhilaration d’un exercice7. […] L’art est la création en nos cœurs d’une puissante vie sans acte et sans douleur ; le beau est le caractère subjectif, déterminant choix, par lequel, pour une personne donnée, les représentations sont ainsi innocentes et exaltantes ; l’art et le beau deviendraient donc des mots vides de sens si l’homme était pleinement heureux et pouvait se passer de l’illusion du bonheur, comme on cesserait alors d’y tendre douloureusement, vainement, par la religion, la morale et la science. […] Sully-Prudhomme ; l’Ethique de Spinoza ; l’Histoire de la littérature anglaise, de Taine ; la Vie de Jésus, de Renan ; à un moindre degré quant au contenu, les Oraisons de Démosthènes et de Bossuet, qui sont des plaidoyers sincères et non des spéculations ; à un moindre encore, les Premiers principes de Spencer, ou la Mécanique céleste de Laplace, peuvent donner lieu à un examen d’esthopsychologie complet. […] Voir à la page 30 et plus loin, p. 77, cette définition du beau : « Le beau est une perception ou une action qui stimule la vie et produit le plaisir par la conscience rapide de cette stimulation générale » (NdA) 4. […] Le Dijonnais réformé est en outre l’auteur de Littérature anglaise et philosophie (1893), ainsi que de quelques essais sur la vie religieuse de son temps.
Benjamin Constant, qui n’avait pas dans ses livres le merveilleux esprit qu’il avait de plain-pied dans la vie, l’avait en vain revêtue de ces formes les plus sveltes et les plus clairement brillantes que l’on eût vues depuis Voltaire ; elle n’en était pas moins tombée dans l’oubli avec le silence des choses légères, car il faut de la consistance pour, même en tombant, retentir ! […] A-t-il de tout cela jailli une lumière, quelque grande certitude devant lesquelles, puisqu’il s’agit ici de la vie de Jésus, par exemple, la Bible et l’Évangile ne causent plus d’étonnement ? […] Assertions hasardées, systèmes à l’état de dentelles ; on n’invoquerait pas les raisons qui, selon lui, simplifient et éclairent l’histoire, pour se, décider dans la plus vulgaire action de la vie ! […] Renan était destiné à porter toute sa vie cette double livrée d’Hegel et de Strauss qu’il a endossée. […] Ce fut là son état, le dessus de porte de sa pensée et de sa vie, mais l’étude des langues par laquelle il voulait faire son chemin n’en fut pas moins sa manière spéciale de prouver cette non-existence de Dieu, qui est la grande affaire de la philosophie du temps, l’Essai sur le langage, réimprimé aujourd’hui, est le premier essai de cette preuve qu’ait faite M.