/ 3766
1063. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Sahara algérien et le Grand Désert »

Selon nous, ces espèces de capacités sont les meilleures, les plus nettes, les plus lumineuses qu’il y ait eu jamais parmi les hommes, et la littérature qui en est l’expression, soit sur les choses de la guerre, soit sur les choses de la politique et de l’histoire, est certainement la littérature où se trouvent relativement le plus d’œuvres supérieures et le moins d’œuvres médiocres… La cause de cela ne vient point seulement de ce que la vie militaire est une grande école pour le caractère, et qu’à une certaine profondeur le caractère et l’intelligence confluent et s’étreignent. […] Mais c’est surtout parce qu’un soldat qui descend de cheval pour se faire écrivain — ne fût-ce qu’un quart d’heure — a toujours à dire quelque chose sous l’impérieuse dictée de l’expérience et de la pratique de la vie. […] Langue, superstitions, industrie, usages, caractères, institutions, races, chants populaires, tous les détails enfin de la vie, depuis les consécrations religieuses jusqu’aux soins vulgaires de la toilette, rien n’est omis dans ses tableaux. […] On y sent la vie observée, la vie vraie, qui battra toujours la vie rêvée, et la poésie des réalités, qui l’emportera toujours sur la poésie de seconde main, la poésie des mots et des livres. […] Qui voudra connaître les derniers jours de la vie arabe lira Daumas, et qui pensera à ce noble peuple, à cette perle de peuple que nos mœurs occidentales vont dissoudre, pensera à ce qu’il en a raconté.

1064. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Il fallait qu’il eût de la vie ! Et c’est là précisément le caractère de son talent : il a de la vie, et même de la jeunesse, malgré les années, les expériences, les fatigues et les frottements contre les choses d’Allemagne ! […] Ce Blaze est blasé… C’est un grand dégoûté de l’Histoire, qui la sait comme les grands dégoûtés de la vie savent la vie, — et qui cherche à se ragoûter d’elle en l’interprétant à sa manière… « Je crois à l’Histoire, mais je n’y étais pas », a dit un autre dandy avec une profondeur légère, et voilà le scepticisme qui a engendré la théorie de Blaze de Bury, lequel ne l’a inventée que parce qu’il « n’était pas » à l’histoire. […] … C’est la vie, l’imagination, la jeunesse, retrouvées là où la plupart de ceux qui les eurent un jour, ces qualités, ne les retrouveraient jamais plus. […] Cette langue chaude, que Blaze de Bury parle si bien, introduit un courant de vie de plus dans cette histoire de choses mortes revivifiées, et, ce que je ne compte pas moins, doit ajouter au déconcertement des vieux classiques, des vieilles gens de goût, ces momies !

1065. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Le roi Stanislas Poniatowski et Madame Geoffrin »

Quand, jeune, il menait à Paris cette vie de prince de la bohème encore plus que de prince polonais qui pendant quelque temps fut la sienne, Madame Geoffrin le sauva du Clichy d’alors, qui ne badinait pas ! […] Il est, pour moi, et il sera, pour tous les romanciers et tous les moralistes qui savent ; comme Dieu, tout le prix d’une âme, dans le sentiment individuel très complexe et très passionné que Madame Geoffrin eut pour Poniatowski toute sa vie, et qui, sous le nom d’amitié, cachait peut-être le plus bel amour de tout le xviiie  siècle, qui, le fat ! […] car elle témoigne de l’immortalité du cœur et de la force de la vie, et il n’est pas besoin, comme si c’était une honte, de s’en cacher. […] Pour ceux qui voient plus haut que lui, l’irréprochable raison de Madame Geoffrin n’en demeura pas moins tout ce qu’elle était et ne s’affaiblit ni ne se faussa parce qu’elle aima ; et même ce fut là une épreuve pour cette raison qui ne fléchit pas une seule fois dans la conduite de sa vie, et la preuve de sa solidité. […] au lieu de cacher, il montrait… Ressource, du reste, de toutes les femmes qui aiment trop loin d’elles dans la vie !

1066. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVIII. Lacordaire »

Les livres ne sont pas très nombreux dans la vie du P.  […] Reste la Vie de saint Dominique, livre médiocre, d’une érudition incertaine, et dont la célébrité du révérend P.  […] Malgré son sujet et son titre (une vie de Sainte !) […] Cette vie de Sainte, qui pouvait avoir le grand caractère ferme, austère, et surnaturellement édifiant des hagiographies, dignes de ce nom, n’a point cet effroyable et ennuyeux inconvénient. […] On le sait, et sa vie et ses livres l’attestent, le R. 

1067. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IV. »

C’est de toi qu’il dépend de donner et de conserver la vie aux périssables humains. […] en retour de mes chants, accorde-moi par ta faveur une vie fortunée. […] Né dans l’île de Paros, vers la dix-septième olympiade, six siècles avant notre ère, Archiloque courut toutes les aventures de la vie civilisée d’alors, tout ensemble poëte et guerrier, diffamé dans ses mœurs, redouté pour ses vers, implacable ennemi domestique, faible défenseur de ses concitoyens, et couvrant de son impudence encore plus que de son génie sa désertion dans le combat, et la perte de ce bouclier avec lequel ou sur lequel un Spartiate devait revenir du champ de bataille. […] » Par là sans doute, et par cette complaisance du peuple artiste de la Grèce pour le génie qui le charmait, Archiloque, malgré la licence de sa vie et de ses vers, eut un nom honoré des hommes et des dieux, selon le langage païen. […] D’Archiloque, au contraire, tout est historique et vrai, jusqu’à l’impudence de sa vie.

/ 3766