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2186. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Deux faits notables, deux phénomènes littéraires, sont venus, l’un pas plus tard qu’hier, l’autre depuis quelques années déjà, fournir à l’attention avide un sujet, un aliment tant désiré, sur lequel on a vécu à satiété et qui, par bonheur (cela reste vrai du moins pour l’un des deux), n’est pas près de s’épuiser encore. […] Mais de nos jours, au milieu des respects et des hommages individuels et publics volontiers décernés à la religion, après le triomphe encore plus complet qu’espéré d’une politique conservatrice, venir réagir au delà dans le même sens et en passant outre, pousser par système et par mode à l’aristocratie, au despotisme, à l’ultramontanisme, c’est ne prouver autre chose que l’ennui de l’âme qui s’agite à vide et la vanité de l’esprit qui se monte à froid. […] Quand cette saison n’est pas venue, les femmes de la ville ne s’y promènent pas encore, et, quand elle est passée, elles ne s’y promènent plus. » Certes, sur cette levée où se promenaient les bourgeoises du temps de La Bruyère, il y avait plus d’honnêtes femmes que de celles qui ne l’étaient pas, et pourtant elles s’y promenaient et y faisaient foule — innocemment. […] On craint de compromettre désormais une fortune qu’on sent tenir un peu du caprice et du hasard : on en vient, si l’on n’y prend pas garde, au silence prudent.

2187. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

Mais il vient un moment où l’on a droit de juger à son tour ceux qui vous ont précédé et guidé, surtout si tout le monde les juge, et si eux-mêmes, hommes de publicité et de parole, ils ont provoqué ce regard scrutateur par toutes sortes d’éclats, d’indiscrétions moqueuses et de confidences à haute voix. […] Par moments il lui venait bien quelques petits scrupules de tout ce manège compliqué, dans lequel il pouvait sembler jouer un rôle si peu digne et de son esprit et même de son cœur ; un jour donc, il écrivit à madame de Charrière une lettre dont je n’ai gardé que l’extrait suivant, l’original est aux mains de M.Gaullieur : « Ce 26 fructidor (probablement 1795). […] Il n’y a pas ici ni même à Gottingue le plus petit bout d’une feuille française, à l’exclusion du Moniteur qu’on fait venir en ballots tous les six mois, ce qui ne rend pas les nouvelles qu’il contient très-fraîches. […] Était-ce donc la peine, en débutant, de venir intenter un procès en forme contre un travail par lequel, M.Gaullieur certainement, et moi peut-être après lui (puisqu’on veut m’y mêler), nous pouvions croire avoir bien mérité de l’histoire littéraire contemporaine et des futurs biographes de Benjamin Constant en particulier ?

2188. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Ils en tirent quelques-unes de cette masse énorme et les recommandent ainsi à l’attention de ceux qui viendront après eux. […] Tenons pour faite et bien faite l’analyse dont nous venons d’indiquer la marche générale. […] Je ne dirai pas avec Guyau35 : « Lorsqu’il s’agit d’apprécier si une œuvre d’art représente la vie, la critique ne peut plus s’appuyer sur rien d’absolu : aucune règle dogmatique ne vient à son aide. […] Elle n’est pas parfaite ; elle a besoin d’être précisée perfectionnée, et elle le sera sans nul doute par ceux qui viendront après nous.

2189. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

Elle explique beaucoup mieux les diversités de constitution et de mouvements des planètes, les phénomènes cométaires, les anomalies dans la distribution et le mouvement des satellites, la vitesse de rotation des planètes ; enfin l’analyse spectrale est venue, dans ces derniers temps, corroborer l’hypothèse d’une communauté d’origine entre toutes les parties de notre univers. […] 3° Tandis que les derniers éléments vivants du corps individuel sont le plus souvent fixés dans leur position relative, ceux de l’organisme social peuvent changer de place ; les citoyens peuvent aller et venir à leur gré pour gérer leurs affaires. […] Enfin, si nous en venons au système nerveux, nous trouvons dans les organismes inférieurs des ganglions, quelquefois presque indépendants ; à peu près comme dans la société féodale nous voyons les barons et autres seigneurs gouverner sans contrôle ; la souveraineté, presque locale, s’exerçant dans d’étroites limites. […] De là vient que si nous voulons juger deux nuances de couleur, nous les plaçons côte à côte, que si nous voulons estimer deux poids, nous en prenons un dans chaque main, et que nous comparons leur pression, en faisant passer rapidement notre pensée de l’un à l’autre : et, « comme de toutes les grandeurs, celles d’étendue linéaire sont celles dont l’égalité peut être le plus exactement connue, il en résulte que c’est à celles-là qu’on doit réduire toutes les autres. » Car c’est le propre de l’étendue linéaire, que seule elle permet la juxtaposition absolue, ou pour mieux dire, la coïncidence, comme il arrive pour deux lignes mathématiques égales ; l’égalité devenant alors identité.

2190. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Ces gens-là ne savent pas que les paupières ont une espèce de transparence ; ils n’ont jamais vu une mère qui vient, la nuit, voir son enfant au berceau une lampe à la main, et qui craint de l’éveiller. […] Ne quitte ton atelier que pour aller consulter la nature… » On se demande ce que vient faire là cette compagne du jeune Loutherbourg. […] Puis tout à coup, à la fin, son secret, qui, deux ou trois fois pourtant, est venu au bout de sa plume, lui échappe, et ces paysages naturels auxquels il nous a fait assister se trouvent être tout simplement les toiles de Vernet qu’il s’est plu à imaginer ainsi et à réaliser sur place, se remettant dans la situation et dans l’inspiration même de l’artiste qui les composait. […] Là où Diderot réussit tout à fait bien et naïvement, c’est quand il ne se prépare point, et quand il ne vise à quoi que ce soit, c’est quand sa pensée lui échappe, quand l’imprimeur est là qui le presse et qui l’attend ; ou encore quand le facteur va venir et que, lui, il écrit à la hâte, sur une table d’auberge, une lettre pour son amie.

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