Inconséquent à tout quand il s’agit de Dieu, dédiant à Dieu son livre, dans une pose naïve de gladiateur enfant, au milieu du cirque de l’athéisme contemporain qui le nie de toutes parts, déiste d’un déisme involontaire et fatal, à travers lequel l’idée chrétienne coule, sans qu’il s’en doute peut-être, comme le sang dans la chair humaine ; déiste malgré lui, qui eût fait effacer à Bossuet sa phrase célèbre : « Le déisme n’est qu’un athéisme déguisé », voilà, en quelques mots, ce poète nouveau, à son début, qui lave les sottises de son esprit dans l’émotion de sa poésie, ce jouvenceau de vingt-trois ans qui s’en vient orgueilleusement demander à la Critique de l’égorger, si elle l’ose… et celle-ci, comme vous le voyez, ne l’égorge pas ! […] De poésie forte et dans un autre accent, nous n’avons vu surgir, et bien récemment encore, que le livre qui a monté tout à coup dans la renommée comme un faucon décapuchonné, écrit par cette femme étrange, par ce sphinx de génie terrible qui a proposé l’énigme de son sexe à la Critique, presque épouvantée de tant de virilité… Gustave Rousselot vient après madame Ackermann. […] « Je trouve le moment venu — dit ce jeune Spartacus de la prosodie — de se séparer de la routine, et c’est pourquoi j’ai modifié le nombre ordinaire de syllabes… Mon idée — ajoute-t-il — est même que le poète a le droit de compter les mots en variant, au besoin, selon le hasard du vers… » Au hasard du vers !
Frère et sœur… Mais il n’est pas même besoin d’être frère et sœur pour qu’un éditeur vienne vous demander la vie d’un homme célèbre et pour trouver très bien à la placer ! […] Ils sont fort bien venus aussi après les frères et les sœurs. […] Après avoir fait résonner les fibres saignantes de son cœur, il nous les a dénudées pour nous montrer avec quoi est faite la voix du poète… Historiquement, lord Byron n’a rien laissé à écrire sur son compte à ceux qui viendront après lui.
Comme après La Curée, après ces douze chefs-d’œuvre que nous venons d’énumérer si le poète des Iambes était mort, il aurait laissé une immortalité d’autant plus belle que le regret, le regret de l’avoir perdu dans la plénitude de sa force, aurait ajouté à ses œuvres finies la poésie d’œuvres qu’il n’aurait pas faites. […] à laquelle on peut appliquer les mystérieuses paroles du Prophète : « Dites-moi d’où il était venu et je vous dirai où il est allé ! […] Le recueil de poésies qui vint après celui-là, plus considérable et plus grave que les Odelettes, montre que, dès les Odelettes, le poète inspiré n’était plus.
Laurent Pichat vient, parmi eux, de gagner sa place,· — mais, il faut en convenir, Baudelaire, la mâle Ackermann, et, plus près de nous, Jean Richepin, l’auteur de La Chanson des Gueux, — qui couvait son volume des Blasphèmes, — Richepin le toréador, qui prétend traiter Dieu comme le vil taureau auquel on passe une épée à travers le ventre, Richepin qui rirait bien de Pichat avec sa religion du progrès, qui n’est que du Christianisme déplacé, sont des blasphémateurs d’un autre poing montré au ciel et d’un autre calibre de passion impie que Pichat, l’égorgeur de songes, comme il s’appelle, et le pleureur sur les légendes religieuses auxquelles il a cru, et que, du fond de sa stérile et vide raison, il a l’air de regretter encore. […] Des rapides isards l’ombre au loin se découpe ; Mais ils n’osent venir boire à ta froide coupe. […] Jamais, dans son manteau, pour éviter les rhumes Un lakiste, enivré de tempête et de brumes, Près de toi n’est venu s’asseoir, Et n’a, d’une élégie au crayon bien écrite, Effeuillé sa douleur comme une marguerite, En attendant le thé du soir.
Armand Pommier, l’auteur de La Dame au manteau rouge, dont il va être question aujourd’hui, n’est pas un débutant littéraire ; mais, sauf erreur, c’est encore un nouveau venu. […] Or, les défauts de son livre, que je lui demanderai la permission de signaler, viennent justement de sa prétention et de sa préoccupation d’être un romancier physiologique. […] Viendra-t-il, cet homme-là ?