Et je ne prétends point qu’elles se vaillent toutes, mais pour en établir la valeur relative, et la hiérarchie, il faudra de singulières nuances et une étrange casuistique avec un sens de la relativité et de la variation des valeurs dont notre morale actuelle se garde jalousement. […] Un sentiment, une idée n’ont de valeur que par leurs rapports avec un immense ensemble d’autres sentiments, d’autres idées et d’autres actes, ils doivent se coordonner et se subordonner. […] Mais elle nous apprend aussi à aimer ou à estimer dans les valeurs inférieures ou négatives ce que nous admirons dans les plus hautes. […] Et si l’ironie peut s’élever assez haut, elle nous fera comprendre même la valeur des plus petites choses. […] L’idéal qu’ils incarnent ne fût-il qu’un rêve irréalisable — ce dont il est impossible de juger — sa valeur esthétique s’élève parfois au-dessus de la société réelle qui le nie, qui l’étouffe et qu’il embellit.
Tout prend à ses yeux un sens et une valeur, en vue du but important qu’il se propose, lequel rend sérieuses les choses les plus frivoles qui de près ou de loin s’y rattachent. […] La philologie n’a point son but en elle-même : elle a sa valeur comme condition nécessaire de l’histoire de l’esprit humain et de l’étude du passé. […] dis-je, de tels livres, presque insignifiants en eux-mêmes, ont une valeur inappréciable, si on les envisage comme matériaux de l’histoire de l’esprit humain. […] C’est donc dans la philosophie qu’il faut chercher la véritable valeur de la philologie. […] La morale, la poésie, les religions, les mythologies, tout cela n’a aucune place, tout cela est pure fantaisie sans valeur.
Toutefois, dans son ensemble, et précisément parce qu’elle est pratiquée par de nombreux esprits d’espèces fort diverses, la littérature déconcerte souvent par sa richesse et sa variété ; la valeur relative et la valeur absolue se confondent, les goûts se contredisent, les idées heurtent des opinions personnelles, et, dans l’enchevêtrement des causes, des effets, des précurseurs, des attardés, des formes traditionnelles, des formes neuves et sincères, il est presque aussi malaisé de dégager la ligne essentielle qu’il est difficile de définir « la vie ». […] Je ne reculerai donc ni devant la brutalité des premières catégories, puisque nous sommes d’accord sur leur valeur très relative, ni devant les répétitions, puisque j’essaierai de leur donner chaque fois une nuance nouvelle, grâce aux progrès de l’exposition. […] Dans une pareille étude, malheur à celui qui, dénué d’esprit philosophique et de goût esthétique, se laissera tromper par la ressemblance extérieure des formes, qui confondra la valeur relative avec la valeur absolue, la tradition avec la création, ou qui, dédaigneux des faits de la réalité, voudra mettre l’histoire au service de ses sympathies personnelles ! […] Sur le degré et la valeur de cette nouveauté les jugements peuvent varier à l’infini ; nous n’avons pas à entrer dans le détail de ces discussions. […] C’est alors seulement que la vérité relative d’une époque, d’un milieu, vécue par un artiste, prend une valeur absolue : elle n’est plus une abstraction, elle est un fait ; en prenant corps dans une œuvre précise et personnelle, elle devient une réalité agissante et durable à jamais.
Le goût du riche, en effet, faisant le prix des choses, un jockey, une danseuse qui correspondent à ce goût sont des personnages de plus de valeur que le savant ou le philosophe, dont il ne demande pas les œuvres. […] Tant il est vrai que ce n’est pas la valeur intrinsèque des choses qui en fait le prix, mais le rapport qu’elles ont avec ceux qui tiennent l’argent. […] Or ces facultés sont de très peu de valeur : elles ne rendent ni meilleur, ni plus élevé, ni plus clairvoyant dans les choses divines ; tout au contraire. Un homme sans valeur, sans morale, égoïste, paresseux, fera mieux sa fortune, en jouant à la Bourse, que celui qui s’occupe de choses sérieuses.
Mais, si la science est la chose sérieuse, si les destinées de l’humanité et la perfection de l’individu y sont attachées, si elle est une religion, elle a, comme les choses religieuses, une valeur de tous les jours et de tous les instants. […] Que les révolutions et les craintes de l’avenir soient une tentation pour la science qui ne comprend pas son objet et ne s’est jamais interrogée sur sa valeur et sa signification véritable, cela se conçoit. […] Ce n’est pas sans avoir eu à vaincre quelque pudeur que je me suis décidé à dévoiler ainsi mes pensées de jeunesse, pour lesquelles peut-être à un autre âge je me ferai critique, et qui auront sans doute bien peu de valeur aux yeux des personnes avancées dans la carrière scientifique.