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461. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Lassay était de ces esprits tempérés, bien faits et polis, que l’usage du monde a perfectionnés en les usant, qui ont peu d’imagination, qui n’ajoutent rien aux choses, et qui prisent avant tout une observation juste, une pensée nette dans un tour vif et concis : « Un grand sens, disait-il, et quelque chose de bien vrai renfermé en peu de paroles qui l’expriment parfaitement, est ce qui touche le plus mon goût dans les ouvrages d’esprit, soit en vers, soit en prose. » Il n’allait pas pourtant jusqu’à la sécheresse, et il tenait à rester dans le naturel ; il croyait que les choses qu’on dit ont quasi toujours chance de plaire quand elles sont plutôt senties que pensées : « Il y a des gens qui ne pensent qu’à proportion de ce qu’ils sentent, observait-il ; et il semble que leur esprit ne sert qu’à démêler ce qui se passe dans leur cœur : ces gens-là, qui sont toujours vrais, ont quelque chose de naturel qui plaît à tout le monde. » Chamfort, qui prête quelquefois de son âcreté aux autres et qui est homme à la glisser sous leur nom, a écrit dans ses notes : « M. de Lassay, homme très doux, mais qui avait une grande connaissance de la société, disait qu’il faudrait avaler un crapaud tous les matins pour ne trouver plus rien de dégoûtant le reste de la journée quand on devait la passer dans le monde. » On ne voit rien ou presque rien dans ce que dit et dans ce qu’écrit Lassay qui soit en rapport avec une si amère parole54. […] Un discernement juste, une humeur douce et aisée, un bon esprit éclairé par un grand usage du monde, et cultivé par beaucoup de lecture ; un cœur qui ne respire que l’amour et qui est rempli de courage ; cette sagesse que l’expérience donne et qui est le partage de la vieillesse, accompagnée de la vivacité et de la gaieté de la jeunesse ; tout cela forme un caractère unique, et tout cela se trouve en M. le marquis de Lassay, que je vous prie d’embrasser tendrement pour moi. […] [NdA] Voici quelques-unes des maximes de Lassay qui approchent le plus du mot que rapporte Chamfort ; mais encore sont-elles d’un homme du monde désabusé et sans illusion, plutôt que d’une âme ulcérée et d’un cœur aigri : Il n’y a rien de si beau que l’esprit de l’homme, et rien de si effroyable que son cœur. — L’usage du monde corrompt le cœur et perfectionne l’esprit. — La plupart des connaissances qu’on a sont nos véritables ennemis ; car, pour l’ordinaire, ce ne sont pas les hommes avec qui nous ne vivons point qui nous font du mal.

462. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

La saveur s’en augmentant pour eux avec les années, ils se demandaient s’il ne serait pas intéressant de les recueillir et d’en faire un volume à l’usage des bons esprits qui savent goûter le sobre et le fin. […] Boissonade, qui devait, plus tard, éditer Parny et Bertin, qui était galant d’inclination et qui aimait fort les érotiques, avait pris d’emblée du goût, on le conçoit, pour Aristénète : c’était un gibier à son usage. […] Non content de vouloir l’éditer, comme il fit ensuite en 1822, sous forme tout à fait respectable et savante, il l’avait d’abord traduit en français à l’usage de ceux qui aiment les anciens et qui ne peuvent les lire en leur langue.

463. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Toute une littérature y circulait en manuscrit, et à petit bruit, à l’usage d’un petit nombre de lecteurs, qui ne souhaitaient pas d’autre publicité… » Maintenant, en juge plus froid et plus désintéressé du débat, je me permets de trouver qu’il y a un peu d’excès dans l’importance qu’on met à un semblable détail. […] Il parle souvent de ce dernier passage, tout en étant d’avis qu’il faut le couler le plus insensiblement qu’il se peut : « Si je fais un long discours sur la mort, après avoir dit que la méditation en était fâcheuse, c’est qu’il est comme impossible de ne faire pas quelque réflexion sur une chose si naturelle ; il y aurait même de la mollesse à n’oser jamais y penser… — Du reste, il faut aller insensiblement où tant d’honnêtes gens sont allés devant nous, et où nous serons suivis de tant d’autres. » Il professe la théorie du divertissement, ou du moins il ne semble en rien en blâmer l’usage : « Pour vivre heureux, il faut faire peu de réflexion sur la vie, mais sortir souvent comme hors de soi ; et, parmi les plaisirs que fournissent les choses étrangères, se dérober la connaissance de ses propres maux. » Il se plaint par moments du trop ou du trop peu de l’homme, ou plutôt il s’en étonne comme d’une bizarrerie, mais sans en gémir avec la tendresse et l’anxiété qu’y mettra l’auteur des Pensées. […] Ce fut le poison dont elle voulut se servir, car, quoiqu’on ne s’en serve pas à cet usage, mais seulement comme d’un dissolvant pour la digestion, néanmoins, quand on en boit beaucoup à jeun, cette liqueur est tellement corrosive qu’elle tue comme de l’arsenic.

464. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

Vinet à notre usage, écrivain complet, critique profond. […] Tout ce qui se rapporte à la propriété, à la précision, à la sagacité, est souverain chez lui ; la hardiesse, si elle s’y rencontre, est toujours étroitement adaptée, la métaphore est juste à l’usage ; mais ne lui demandez pas la grande flamme : il la gardera. […] Un seul mot qui pourrait déplaire dans cette pièce sans tache est celui d’angoissée, mais je dois dire qu’il est d’usage habituel dans le canton de Vaud ; la lecture de la Bible en langue vulgaire maintient en circulation beaucoup de ces mots un peu étranges ou vieillis.

465. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

On n’avait pas eu jusque-là dans un livre la révolution tout entière résumée à l’usage de la génération qui ne l’avait ni vue ni faite, mais qui en était fille, qui l’aimait, qui en profitait et qui l’aurait elle-même recommencée, si elle eût été à refaire. […] Autrefois on faisait des éditions ad usum Delphini : cette édition-ci fut à l’usage des fils des hommes du tiers-état, c’est-à-dire de tout le monde. […] Cette publication met, en quelque sorte, la diplomatie79 à la portée de ceux qui ne bougent pas de leur fauteuil, et l’offre en spectacle et en sujet de méditation à l’homme d’étude et au moraliste ; elle leur permet de saisir le fin du jeu et d’en extraire la philosophie à leur usage.

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