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498. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Lorsqu’on est jeune, qu’on a l’esprit élevé comme le cœur, et qu’on croit à la raison universelle, si clairvoyant et si avisé d’ailleurs qu’on puisse être, on est d’abord tenté de se dire que la sottise humaine a fait son temps et que le règne du vrai commence, tandis qu’en réalité cette sottise ne fait que changer de costume avec les âges, et que, sous une forme ou sous une autre, elle est notre contemporaine toujours. […] A ne voir que certaine surface, on pourrait se croire arrivé, dans l’ordre des esprits, à un carnaval de Venise universel. Non pas tout à fait universel ; Il est des intelligences qui résistent, qui protestent contre cette défaillance ou cette mobilité d’alentour, et ne se laissent pas volontiers entamer. […] Le parfait critique, ainsi considéré, serait, donc celui qui aurait la faculté d’être tour à tour, ne fût-ce qu’un moment, artiste dans tous les genres, et de nous offrir en lui l’amateur universel. […] Royer-Collard eut disparu, une sorte de suffrage rapide et de murmure universel désigna à l’instant M. de Rémusat pour lui succéder et pour le célébrer.

499. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Homère est immortel comme il est universel, parce qu’il est l’âme de tous impressionnée et exprimée dans un seul. […] Le cœur humain et la nature sont seuls d’un attrait universel et qui se renouvelle avec tous les temps. […] Oui, mais c’est l’âme appliquée par le calcul à la matière ; l’autre, c’est l’âme appliquée par la poésie au sentiment, à la pensée, à la nature universelle, à la Divinité. […] Et cependant, même dans cette épopée qui est presque exclusivement consacrée au récit des combats et à la glorification des héros, que manque-t-il au tableau presque universel de toute la nature animée ou inanimée ? […] l’encyclopédie chantée par un poète universel aux hommes de son temps ?

500. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

III On s’étonne, en réfléchissant à ses accablantes occupations d’homme public, comme défenseur ou accusateur devant les tribunaux, comme orateur politique devant le peuple ou au sénat, comme consul dans des temps d’orages civils, comme proconsul en Asie, comme général d’armée, comme administrateur de provinces, comme candidat aux magistratures, comme aspirant au triomphe, comme conseil de Pompée, comme ami de Brutus, comme ennemi de Clodius ou d’Antoine, comme tuteur et victime d’Octave ; on s’étonne, disons-nous, qu’il soit resté tant de loisirs à cet esprit universel pour toutes les parties de la littérature depuis la rhétorique et la poésie jusqu’à la philosophie et la religion. […] Il est assez connu comme orateur accompli ; il ne l’est pas assez comme intelligence suprême et universelle. […] « Tant que la vie de Crassus avait été occupée dans les travaux du forum, il était distingué par les services qu’il rendait aux particuliers et par la supériorité de son génie, et non pas encore par les avantages et les honneurs attachés aux grandes places ; et l’année qui suivit son consulat, lorsque, d’un consentement universel, il allait jouir du premier crédit dans le gouvernement de l’État, la mort lui ravit tout à coup le fruit du passé et l’espérance de l’avenir ! […] La raison, la providence ou la divinité active dans les choses universelles sont-elles autrement définies par nos philosophes ? […] Si l’orateur est égal ou supérieur dans Bossuet, l’homme est plus universel et plus intrépide dans Cicéron.

501. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Tous mes lecteurs se souviennent que j’ai écrit, en 1847, un livre qu’il ne m’appartient pas de juger littérairement ; livre qui produisit, lors de son apparition, un effet tellement universel que les critiques du temps ne purent le comparer qu’au mouvement de curiosité de l’Émile de J. […] XXVII Déçu dans mon désir de monter derrière Casimir Périer sur la brèche, pour y défendre, non la royauté orléaniste, mais la société européenne assaillie par les partis de la guerre universelle et par les partis de la turbulence anarchique au dedans, je m’absentai pendant deux ans, pour tromper, par de grands voyages dans l’Orient, mon impatience d’action sans emploi possible dans mon pays. […] Certes, si ce grand parti avait eu une autre attitude pendant les quinze ans que la Providence lui accorda pour se reconstituer, il eût apparu à la France avec une bien autre importance en 1848, et le nom de sa dynastie, restauré par le temps et prononcé dans la tempête, aurait eu des millions d’échos dans le suffrage universel. […] Royaliste conditionnel le jour de l’événement au Palais-Royal et à l’hôtel de ville, républicain d’attitude après coup afin de regagner un peu de popularité dans les factions extrêmes, ce parti, représenté par cinq ou six orateurs populaires dans la chambre et par autant de journaux dans la rue, demandait à grands cris des institutions ultra-démocratiques, des proscriptions contre les royalistes au dedans et la guerre universelle de propagande au dehors. […] Thiers, qui mena la France à deux doigts d’une guerre universelle, à propos d’un pacha d’Égypte révolté contre son maître, cause de guerre aussi absurde que celle qu’on a inventée aujourd’hui pour satisfaire la fantaisie d’un roi des Alpes qui veut régner à Florence, à Naples, à Palerme, à Venise, à Rome, sans avoir ni droit ni force pour s’y maintenir sans la France.

502. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Je réponds : « Parce que Mme la duchesse d’Orléans n’était que la belle-fille de ce roi de l’illégitimité, parce que le comte de Paris n’était que le petit-fils de l’usurpation, parce que le mot de république ne préjugeait rien et apaisait tout jusqu’à l’Assemblée constituante nommée au suffrage universel pour déclarer la volonté du pays ! […] Au réveil, Joseph sentit pénétrer jusqu’à lui un rayon de l’allégresse universelle, et naître en son cœur comme une envie d’être heureux ce jour-là. […] S’il parvenait à les surmonter, et si, au sortir de là, comme on le lui faisait entendre, un patronage honorable et bienveillant l’introduisait dans le monde, sa destinée était sauve désormais ; des habitudes nouvelles commençaient pour lui et l’enchaînaient dans un cercle que son imagination était impuissante à franchir ; une vie toute de devoir et d’activité, en le saisissant à chaque point du temps, en l’étreignant de mille liens à la fois, étouffait en son âme jusqu’aux velléités de rêveries oisives ; l’âge arrivait d’ailleurs pour l’en guérir, et peut-être un jour, parvenu à une vieillesse pleine d’honneur, entouré d’une postérité nombreuse et de la considération universelle, peut-être il se serait rappelé avec charme ces mêmes années si sombres ; et, les renvoyant dans sa mémoire à travers un nuage d’oubli, les retrouvant humbles, obscures et vides d’événements, il en aurait parlé à sa jeune famille attentive, comme des années les plus heureuses de sa vie. […] Cette illustration des grâces d’un siècle était devenue un digne débris de votre culte ; c’est là du moins que je vous retrouvai, c’est-à-dire avec Ballanche, les deux Deschamps, Vigny, madame Émile de Girardin, Brifaut, chez madame Récamier, régnant par l’attrait universel sur l’universalité des talents. […] À ces esprits de choix, au milieu de leur vie commode, de leur loisir occupé, de leur développement tout intellectuel, la religion philosophique suffit ; ce qui leur importe particulièrement, c’est de se rendre raison des choses ; quand ils ont expliqué, ils sont satisfaits : aussi le côté inexplicable leur échappe-t-il souvent, et ils le traiteraient volontiers de chimère, s’ils ne trouvaient moyen de l’assujettir, en le simplifiant, à leur mode d’interprétation universelle.

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