Ce vieux guerrier simple, rude, opiniâtre, qu’on vient de voir dans toute sa grandeur militaire à Essling et à Wagram, mais qui par ses manières fait déjà contraste avec les généraux plus jeunes formés à l’école de Napoléon, est dessiné par l’historien, dans cette campagne de Portugal, en traits naturels et ineffaçables. […] Les physionomies d’hommes qu’il nous présente ne sont que des esquisses rapides en deux ou trois mots ; mais il y revient plus d’une fois, et ces généraux que de loin on serait assez porté à confondre se peignent chez lui bien moins par les traits de l’historien que par leurs actes mêmes. […] À ce déjeuner de Golgao commence à figurer et à se distinguer déjà par l’émotion de la parole un noble et enthousiaste militaire, qui revenait en toute hâte de Paris où il avait causé avec Napoléon, « le général Foy, si célèbre depuis comme orateur, joignant à beaucoup de bravoure, à beaucoup d’esprit, une imagination vive, souvent mal réglée, mais brillante, et qui éclatait en traits de feu sur un visage ouvert, attrayant, fortement caractérisé ». […] Si je ne savais combien il aime Raphaël, je ne verrais pas trop ce que vient faire Raphaël en cet endroit : Voulait-il peindre une Vierge, ce beau génie, dit-il, cherchait dans les trésors de son imagination les traits les plus purs qu’il eût rencontrés, les épurait encore, y ajoutait sa grâce propre, qu’il puisait dans son âme, et créait l’une de ces têtes ravissantes qu’on n’oublie plus quand on les a vues.
Si, comme on peut le croire, dans le paysage probablement décrit d’après nature par Saint-Amant, il y avait en effet un coin de ruine mal famé, où l’on montrait encore de loin avec effroi ce qu’il appelle le squelette d’un amant qui s’était pendu par désespoir, je ne vois pas pourquoi il ne l’aurait pas conservé : mais autre chose est ce trait trop important pour être omis dans un paysage de ce caractère, et qui n’en occuperait dans tous les cas qu’un côté funeste et maudit, autre chose est la limace et le crapaud qu’il s’amuse à nous montrer dans la strophe suivante sur les parois de la cave ou du souterrain effondré du château : Le plancher du lieu le plus haut Est tombé jusque dans la cave, Que la limace et le crapaud Souillent de venin et de bave… Ce qui paraît d’autant plus choquant que cette cave, ainsi présentée de si laide façon, devint chez lui tout aussitôt la grotte sacrée du Sommeilq : Là-dessous s’étend une voûte Si sombre en un certain endroit, Que, quand Phébus y descendroit, Je pense qu’il n’y verrait goutte ; Le Sommeil aux pesants sourcils, Enchanté d’un morne silence, Y dort, bien loin de tous soucis, Dans les bras de la Nonchalence, Lâchement couché sur le dos, Dessus des gerbes de pavots. […] Tout en reconnaissant les heureux traits épars dans cette Solitude de Saint-Amant et en m’expliquant très bien le succès qu’elle eut à sa date, je me dis qu’à la relire aujourd’hui, je n’y trouve ni la solitude du chrétien et du saint, celle dont il est écrit « qu’elle bondira dans l’allégresse et qu’elle fleurira comme le lis » ; ni la solitude du poète et du sage ; ni celle de l’amant mélancolique et tendre ; ni celle du peintre exact et rigoureux. […] Dans ses nombreuses stances, l’intention me semble valoir beaucoup mieux que le résultat ; voici, au reste, un des meilleurs endroits où il rappelle, en se l’appliquant, une parole du saint livre : Profaner le talent, c’est pis que l’enfouir : Ces hautes paroles m’étonnent, J’en dois être en mon cœur bien plus touché que toi ; J’en blêmis, j’en tremble d’effroi, Et jusque dans mon âme à toute heure elles tonnent ; Ma plume en est confuse, et tous ses jeunes traits N’en forment à mes yeux que d’horribles portraits. […] On peut dire qu’il mourut à temps, au moment où la noble figure de Louis XIV allait mettre en déroute tous ces grotesques de l’art, et avant d’avoir essuyé les traits satiriques de Boileau.
les traits fins arriveront : ils arrivent en effet, mais tout cela sent un art bien neuf et bien élémentaire. […] Ils parlaient bien, ils raillaient avec grâce, avec tour, ils jouaient d’un trait bien appuyé, bien acéré, et tout d’un coup, sans qu’on sache pourquoi, un petit délire soi-disant poétique les prend, ils s’arment d’un violon de village et font, pendant une minute ou deux, un crin-crin qui écorche les oreilles. […] Il y a d’ailleurs de jolis traits, et délicats, dans ses récits ; son portrait de Mme de Sévigné est des plus vivants et des mieux caressés dans sa méchanceté ; il s’y est surpassé vraiment, et s’est armé de toutes ses perfidies contre un tel modèle. […] J’y aurais voulu quelquefois un peu moins de trait et de geste.
Sa vie, aussi simple que courte, n’offre qu’un petit nombre de traits sur lesquels nous courrons. […] Ce petit trait rappelle de loin la belle carpe que Racine, en réponse à une invitation de M. le Duc, montrait à l’écuyer du prince, et qu’il tenait absolument à manger en famille avec ses pauvres enfants, le grand Racine qu’il était. […] Elle, sensible bergère, pour emprunter à son poëte même des traits qui la peignent, elle est assez belle aux yeux de l’amant si, au sortir de la grotte bocagère où se sont oubliées les heures, elle rapporte Un doux souvenir dans son âme, Dans ses yeux une douce flamme, Une feuille dans ses cheveux. […] Il a fait quelques épigrammes proprement dites, sans fiel ; de ce nombre une épitaphe qui pourrait bien avoir trait à Suard.
C’est le premier Tartuffe seul qui vit pour les foules, justement parce qu’il n’est qu’une trogne haute en couleur, aux traits simplifiés et excessifs, une tête de jeu de massacre. […] Or, il faut considérer que ce portrait est moitié d’une ennemie, et d’une ennemie qui est servante (Dorine), et moitié d’un imbécile (Orgon) ; que, par conséquent, nous ne le pouvons accueillir que sous bénéfice d’inventaire, que nous en devons contrôler, rectifier ou, mieux, interpréter tous les traits. […] Les « soupirs » et les « grands élancements » à faire retourner les fidèles, la terre « baisée à tous moments », et la puce tuée « avec trop de colère », et « Laurent, serrez ma haire avec ma discipline », ce sont donc là des traits tout à fait propres à frapper l’imagination de cet idiot. […] (Au surplus, des traits que nous jugeons grossiers et ridicules pouvaient fort bien toucher un bourgeois qui, sans doute, comme beaucoup de ses contemporains, lisait encore régulièrement la Vie des Saints.