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636. (1890) Dramaturges et romanciers

Il était admis qu’on n’était pas un écrivain sérieux si on n’avait pas fait une tragédie, c’était le genre qui donnait le renom et la gloire. […] De nos jours, la mode a changé encore une fois, et le roman, mis en honneur et élevé par quelques écrivains à des hauteurs qu’il n’avait jamais connues, a remplacé la tragédie, comme autrefois la tragédie avait remplacé le sonnet. […] Que la vogue change, que la faveur se porte sur un autre genre, et les romans deviendront aussi rares que sont devenues rares les tragédies. […] Un bon roman est supérieur assurément à une mauvaise tragédie, mais entre un mauvais roman et une mauvaise tragédie nous n’hésiterons jamais. […] Une mauvaise tragédie est au moins une platitude emphatique, visant à la grandeur et à l’éclat ; elle a ce mérite relatif de forcer ceux qui la composent à se guinder, à se tourmenter, à faire effort pour s’élever : aussi peut-on dire que la tragédie est une bonne école de tenue morale.

637. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

En 1613, « la docte, vertueuse et véritablement noble dame » Elisabeth Carew, publia une « Tragédie de Mariane, la belle reine de Juiverie » et quelques années plus tard « la noble Dame Diana Primerose » écrivit une Chaîne de Perles, qui est un panégyrique sur les « grâces sans pair » de Gloriana. […] Alors elles prennent une chaise et lisent des horreurs à un penny jusqu’à ce que, lasses de la tragédie en littérature, elles reprennent leur place dans la tragédie artistique. […] Morris a toujours mieux aimé le roman que la tragédie, et place le développement de l’action au-dessus de la concentration de la passion. […] Ils sont le récit d’une des grandes tragédies de l’Europe moderne. […] Il eut, à n’en pas douter, de grands chagrins ou sujets de chagrins, mais il savait se consoler, séance tenante, des tragédies réelles de la vie en lisant la première venue des tragédies de l’époque d’Elisabeth, pourvu que ce fût dans l’édition in-folio.

638. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Comme Corneille dans la tragédie, en créant le sermon, il en a donné le modèle. […] Il y aurait presque autant d’injustice à donner aux tragédies de Voltaire le prix sur celles de Corneille, qu’à mettre les sermons de Massillon au-dessus de ceux de Bossuet. […] » Il y a bien de la rhétorique dans les tragédies de Voltaire.

639. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

La tragédie grecque n’a pas de scène plus pathétique que l’audience des deux envoyés d’Athènes, consultant l’Apollon de Delphes, — Après avoir sacrifié, ils entrent dans la crypte ou siège la prêtresse, et s’assoient sur le banc, attendant l’oracle. […] L’histoire les a justement retranchés de cette défense immortelle, elle n’a compté que les héros de la tragédie, sans s’inquiéter des comparses : soustraction qui est une justice. […] Les deux Masques de la Tragédie et de la Comédie, à peine ébauchés, auraient perdu leurs yeux et leurs voix, pareils à ceux des fontaines taries dont le souffle se retire avec l’eau qu’ils ne versent plus.

640. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

La satire d’Horace est un badinage ; la satire de Juvénal est une tragédie. […] Si on lisait ces vers admirables dans une scène de la tragédie de Britannicus, un des chefs-d’œuvre de Racine, qui pourrait distinguer entre le style poétique de Boileau et le style de Racine ? L’épître ici est égale à la tragédie, et les deux écrivains amis sont, dans des ordres de poésie différents, au même niveau de diction poétique.

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