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16. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 17, s’il est à propos de mettre de l’amour dans les tragedies » pp. 124-131

Ce dernier s’interessera bien davantage au caractere que Corneille donne à l’empereur Auguste dans la tragedie de Cinna, et qui ne touchera que foiblement le partisan d’Achile. […] Comment ceux qui n’ont pas de dispositions à sentir une passion, comment un homme qui n’est point agité par l’objet même, pourroit-il être vivement touché par sa peinture ? […] L’homme, pour qui les attraits du jeu sont sans amorce, est-il touché de l’affliction d’une personne qui vient de faire des pertes considerables, à moins qu’il ne prenne pour elle de ces interêts particuliers qui font partager tous les sentimens d’une autre personne, de maniere qu’on s’afflige de ce qu’elle est affligée. […] Les transports forcenez d’un ambitieux, au desespoir qu’on lui ait préferé pour remplir un poste éminent et l’objet de ses desirs, celui de ses rivaux qu’il méprisoit davantage, peuvent donc bien interesser vivement ceux qui sçavent par leur propre experience que la passion que le poëte dépeint peut exciter dans le coeur humain ces mouvemens furieux : mais toutes ces agitations, que quelques écrivains nomment la fievre d’ambition, toucheront foiblement les hommes à qui leur tranquillité naturelle a permis de se nourrir l’esprit de reflexions philosophiques, et qui plusieurs fois se sont dit à eux-mêmes que les personnes qui distribuent les emplois se déterminent souvent dans tous les païs et dans tous les tems par des motifs injustes ou frivoles.

17. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIV. L’auteur de Robert Emmet »

Ainsi, en critique, depuis quelque temps et de plus en plus, le vent est aux femmes, et peut-être, ici, trouveront-elles qu’il n’est pas très doux… J’en suis désespéré pour ces dames, mais aussi pourquoi publient-elles… Pourquoi viennent-elles presque fièrement se placer sous le tranchant de la Critique, si c’est pour lui crier dès qu’elle les effleure : « On ne touche pas à la reine !  […] s’il y avait une reine en littérature, certainement qu’on n’y toucherait pas ! ou si on y touchait, ce serait pour lui baiser la main, signe d’hommage ! […] Lord Byron, à lui seul, l’emporte, en intérêt littéraire et surtout en intérêt de nature humaine, sur tous ces Allemands sans passion ardente et profonde et qui n’ont de nature humaine que dans le cerveau… La vie de ce grand poëte, qui s’est élevé jusqu’au grand homme, est autre chose que celle de ces travailleurs en rêveries dont l’existence ressemble à une table des matières de leurs œuvres, dans laquelle elle tient… Pour tout homme, pour tout être si heureusement et si puissamment organisé qu’il soit, la vie de Byron est un sujet de critique et de biographie de la plus redoutable magnificence ; car Byron fut comme le plexus solaire du xixe  siècle, et tous les nerfs de la société moderne, cette terrible nerveuse, aboutissent à lui… Toucher à cet homme central, magnétique et vibrant, qui mit en vibration son époque, c’est toucher à l’époque entière… Jusqu’ici, ceux qui y ont touché s’y sont morfondus.

18. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Deshays  » pp. 134-138

Sa scène vous attache et vous touche. […] Le célébrant au lieu d’être droit, touché de commisération se serait incliné davantage. […] Voilà un morceau de peinture d’après lequel on ferait toucher à l’œil à de jeunes élèves qu’en altérant une seule circonstance on altère toutes les autres, ou la vérité disparaît. […] Il semble qu’il ait renoncé à sa couleur, à sa sévérité, à son caractère, pour prendre la touche et la manière de son confrère.

19. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

C’est dire que je touche la réalité du mouvement quand il m’apparaît, intérieurement à moi, comme un changement d’état ou de qualité. […] Insistons sur ce dernier point, dont nous avons déjà touché un mot ailleurs, mais que nous tenons pour essentiel. […] Veut-on en effet, avec Berkeley, que toute perception d’étendue se rapporte au toucher ? […] La vue constate des variations déterminées qu’ensuite le toucher vérifie. […] On les a d’ailleurs vidées, dans cette opération, d’une partie de leur contenu ; après avoir fait converger tous les sens vers le toucher, on ne conserve plus, du toucher lui-même, que le schème abstrait de la perception tactile pour construire avec lui le monde extérieur.

20. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 548-551

Plus ambitieuse de plaire à l’esprit que de toucher le cœur, son éloquence est plutôt celle d’un Ecrivain moraliste & poli, que d’un Orateur Chrétien, pénétré des vérités qu’il prêche, & doué du talent d’en pénétrer les autres. […] Pour y parvenir, il doit plaire, il doit prouver, il doit toucher ; car il ne peut rien obtenir de l’Auditeur ou du Lecteur, que par l’art de s’attirer sa bienveillance par la force des raisons, & par le trouble où il le jette : le dernier point, le plus difficile sans doute, mais le plus infaillible, & sans lequel il n’y a point de véritable éloquence évangélique, est précisément celui qui nous paroît manquer à M. l’Abbé Poule. Cet Orateur prouve assez bien les vérités qu’il avance, ses raisonnemens sont assez suivis, ses pensées assez souvent lumineuses & toujours assez bien exprimées ; mais il ne touche, il ne remue, il n’est vraiment éloquent que par intervalles, & les intervalles sont très-longs, si ce n’est dans le Discours sur l’aumône, où il se montre souvent sensible & pathétique, toujours noble & quelquefois sublime.

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