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471. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Oui, Marivaux est mort, pour la seconde fois, le jour où disparut mademoiselle Mars ; elle l’a emporté dans sa tombe, ce bel esprit qui s’éteignait sans elle, et qu’elle avait ressuscité, d’un sourire ! […] Ce jour-là, il perdit, en vingt-quatre heures, sa supériorité incontestable, incontestée ; il perdit sa popularité dans toute l’Europe, la perle de sa couronne est tombée. […] … Mais enfin l’arrêt était porté ; il a fallu descendre dans l’oubli, cette tombe anticipée des plus grands artistes. — Âme, je te dégage de ton corps ! […] Nous sommes ingrats pour tout ce qui tombe ; mais nous sommes ingrats surtout pour les reines de théâtre. […] J’étais d’avis que l’on écrivît cette parole de Roscius sur la tombe de mademoiselle Mars.

472. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

Il voit de toutes parts combler d’heur sa famille, La javelle à plein poing tomber sous la faucille, Le vendangeur ployer sous le faix des paniers ; Et semble qu’à l’envi les fertiles montagnes, Les humides vallons et les grasses campagnes S’efforcent à remplir sa cave et ses greniers. […] Mais le lieu commun est grandement traité ; il y est même rehaussé vers la fin ; et, allant au-delà d’Horace, Maynard, pour détacher son ami des ambitions périssables, montre que ce ne sont pas seulement les hommes, ni les cités, ni les empires qui doivent finir ; ce ne sont là que de petits débris : ce ciel physique lui-même, ce théâtre de tant de splendeurs, dit-il, finira, et il aura son jour de ruine :             Le grand astre qui l’embellit             Fera sa tombe de son lit. […] Sans savoir où tomber, tombera quelque jour.

473. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

On s’est quitté sans se dire au revoir ; on se retrouve, et pendant ce temps l’amitié a fait en nous de tels progrès que toutes les barrières sont tombées, toutes les précautions ont disparu. » On arrive un matin, on ne s’était pas fait annoncer, et voilà qu’on était attendu. […] Dans les profondeurs des feuillages, sur la limite du jardin, dans les cerisiers blancs, dans les troènes en fleur, dans les lilas chargés de bouquets et d’arômes, toute la nuit, — pendant ces longues nuits où je dormais peu, où la lune éclairait, où la pluie quelquefois tombait, paisible, chaude et sans bruit, comme des pleurs de joie, — pour mes délices et pour mon tourment, toute la nuit les rossignols chantaient. […] Les pampres tombaient un à un, sans qu’un souffle d’air agitât les treilles. […] C’est à la tombée de la nuit : « le bois sombre de quelques meubles anciens se distingue à peine, l’or des marqueteries ne luit que faiblement ; des étoffes de couleur sobre, des mousselines flottantes, tout un ensemble de choses pâles et douces y répand une sorte de léger crépuscule et de blancheur, de l’effet le plus tranquille et le plus recueilli ; l’air tiède y vient du dehors avec les exhalaisons du jardin en fleur ; mais surtout une odeur subtile, plus émouvante à respirer que toutes les autres, l’habite comme un souvenir opiniâtre de Madeleine ».

474. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

On raconte qu’un jour elle tomba évanouie sur son escalier après un trop long jeûne, et fut relevée par une camarade sa voisine, accourue au bruit. […] Puis de là elle revint au théâtre de Rouen, où elle joua seulement les jeunes premières, toujours très accueillie et goûtée du public ; mais elle ne chantait plus : « À vingt ans, dit-elle, des peines profondes m’obligèrent de renoncer au chant, parce que ma voix me faisait pleurer ; mais la musique roulait dans ma tête malade, et une mesure toujours égale arrangeait mes idées, à l’insu de ma réflexion. » La musique commençait à tourner en elle à la poésie ; les larmes lui tombèrent dans la voix, et c’est ainsi qu’un matin l’élégie vint à éclore d’elle-même sur ses lèvres. […] Il a fallu en venir à Mlle Rachel pour que tombât cette dernière barrière et pour que non seulement des femmes du monde, mais des jeunes filles de la plus haute condition, aspirassent à l’amitié d’une femme de théâtre. […] Cette pauvre femme se tuait à faire des révérences à ce galant parterre : nulle pitié, et c’est ici qu’elle fut blessée ; elle tomba évanouie.

475. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Quant à ce qui était de Voltaire et de son entourage : « Il faut avouer, concluait Fréron, qu’en sortant du couvent, Mlle Corneille va tomber en de bonnes mains. » Je laisse de côté la colère de Voltaire sur ce propos qu’il jugeait digne du carcan ; mais celle de Le Brun ne fut pas moindre. […] Mais après la Renaissance, et quand on se remit à faire des odes à l’instar des anciens, on tomba dans l’artificiel, Ronsard en tête. […] Il dira dans la même ode, et toujours dans le même sentiment : Vivant, nous blessons le grand homme ; Mort, nous tombons à ses genoux : On n’aime que la gloire absente ; La mémoire est reconnaissante, Les yeux sont ingrats et jaloux. […] On ajoute qu’Andrieux, qui voulait faire un discours sur la tombe, garda son cahier en poche ; mais je n’en crois rien26.

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