Il nous est impossible d’aller plus loin… À notre sens, Champfleury tire de son travail en l’honneur d’Hoffmann des conclusions entièrement contraires à la vérité de cet homme, qui a été exagéré comme tout ce qui nous est venu de l’Allemagne depuis de longues années, et qui passera, quoiqu’il soit un conteur et un fantastique, tout autant que s’il était un philosophe. […] Swedenborg avait lancé, comme un météore boréal, les folies de ce mysticisme protestant dont Balzac a tiré un si grand parti dans une de ses plus belles œuvres, mais qui, dans Swedenborg, fait pitié même comme invention poétique, et qui n’en trouva pas moins beaucoup d’esprits disposés à l’accepter.
Ou bien, encore, aurait-il gardé rancune à l’illustre romancier français de s’être joué dans la pensée swedenborgienne avec une puissance que Swedenborg n’avait pas, et d’avoir tiré de cette pensée un parti qui aurait stupéfié son auteur, — s’il l’avait compris ? […] … Je ne vois plus qu’un pantin religieux dont les ficelles seraient tirées par des Jocrisses très profanes.
Les poètes paraissent plus beaux, surtout aux générations qui auraient pu les connaître et qui les ignorèrent, quand on les tire de l’oubli et de l’ombre de leurs tombeaux. […] Or, parce que Maurice de Guérin a écrit quelquefois des vers qu’on dirait tirés de l’Anthologie grecque, par exemple ceux-ci : Les siècles ont creusé dans la roche vieillie Des creux où vont dormir des gouttes d’eau de pluie ; Et l’oiseau voyageur qui s’y pose le soir Plonge son bec avide en ce pur réservoir.
Et enfin, puisqu’il est descriptif, La Fontaine, l’originalité du paysagiste, quand, en France, de son temps, il n’y en avait pas encore un seul dans la littérature, et que Fénelon nous donnait (dans son Télémaque) une nature souvenue et tirée des Anciens… Eh bien, disons-le, à travers toutes ces originalités différentes, qu’on retrouve quand on les y cherche dans le génie décomposé de La Fontaine, la meilleure à mes yeux et la plus étonnante, celle qui le fait le mieux ce phénix de La Fontaine, celle qui complète le mieux toutes ses puissances par un charme vainqueur de tout, c’est la bonhomie, c’est cet accent de bonhomie qui se mêle à tous les détails de son œuvre, — et je n’entends pas ici que les Fables, mais les Contes ! […] Nous verrons comme elle s’en tirera… En attendant, l’éditeur a publié en eaux-fortes par les plus habiles aquafortistes de ce temps, les dessins d’Oudry sur La Fontaine ; Oudry, l’animalier du xviiie siècle, spirituel, fin, ayant du Watteau dans les fables tendres, et du Poussin dans quelques-uns de ses paysages de deux pouces, quand le sujet de la fable est grandiose.
J’ai cité Shakespeare, et je disais quel parti ce foudroyant intuitif avait su tirer dans Macbeth du phénomène somnambulique, de ce phénomène obscur encore aujourd’hui, et qui de son temps l’était bien davantage. […] Évidemment, au dix-neuvième siècle, avec l’influence physiologique qui pleut sur nos têtes, avec l’empoignement de l’Imagination publique par ces questions de magnétisme contre lesquelles les plus forts d’entre nous vont à chaque instant se cogner, évidemment les romanciers et les poëtes (dramatiques ou non dramatiques) devaient avoir une autre manière de toucher à cette corde mystérieuse du système nerveux humain, dont le génie de Shakespeare a tiré une vibration si déchirante, rien que pour l’avoir effleurée !