Suard et un jeune talent viril, Mlle de Meulan (depuis Mme Guizot), au Publiciste ; Ginguené et ses amis les philosophes, dans La Décade. […] De ce qu’un homme a des défauts et pis encore, ce n’est jamais une raison de mépriser son talent ni son esprit. L’abbé Maury et l’abbé Geoffroy, chacun dans son genre et toute proportion gardée, sont deux exemples de natures très grossières, mais qui avaient puissance et talent. […] Il n’ose pas tracer avec vigueur les démarcations et les étages entre les talents. […] Il est un peu de ceux dont parle Vauvenargues (dans le portrait de « Lacon ou le petit homme »), de ces connaisseurs qui mettent dans une même classe Bossuet et Fléchier, qui trouvent que Pascal a bien du talent, et que Nicole n’en manque pas.
Son génie lui parla ; un état médiocre ne lui parut point valoir assez pour être mis en balance avec cette destinée nouvelle qu’il tenait entre ses mains : « Il vaut mieux, pensa-t-il, déroger à sa qualité qu’à son génie » ; et, se reportant aux grandes actions qu’il avait été donné à d’autres plus heureux d’exécuter, il se dit : « Qu’il paraisse du moins, par l’expression de nos pensées et par ce qui dépend de nous, que nous n’étions pas incapables de les concevoir. » Cette prédominance, cette préoccupation toujours présente de l’action et de l’énergie vertueuse, supérieure et préférable à l’idée elle-même, est un des caractères du talent littéraire de Vauvenargues, et elle contribue à conférer aux moindres de ses paroles une valeur et une réalité qu’elles n’auraient pas chez tant d’autres, en qui l’auteur se sent à travers tout. […] Rien n’honore le goût et le cœur de Voltaire comme la promptitude avec laquelle il discerna aussitôt le talent et l’homme qui se présentait à lui pour la première fois. […] Dès qu’il le connaîtra mieux, le mot de génie va se mêler à tout moment et revenir sous sa plume à côté du nom de Vauvenargues, et c’est le seul terme en effet qui rende avec vérité l’idée qu’imprime ce talent simple, élevé, original, né de lui-même, et si peu atteint des influences d’alentour. […] Il me semble qu’en ayant sous les yeux ce premier petit volume sans les additions incohérentes et un peu confuses qu’on a faites depuis, on saisit mieux dans ses justes lignes la génération des idées et la formation du talent. […] Remettant en honneur les dons naturels et les affections primitives, et leur laissant leur libre jeu, il s’oppose à l’excès de raisonnement et d’analyse qui voudrait tout réduire à un amour de soi égoïste et cupide : « Le corps a ses grâces, l’esprit ses talents : le cœur n’aurait-il que des vices ?
M.Hugo, M.de Vigny, bientôt M.Alfred de Musset, George Sand dès que ce talent eut éclaté, et au milieu de tout cela M.de Balzac, M.Dumas, d’autres personnes encore qui ne se piquent pas d’être citées en si haut rang à côté d’eux, tous successivement ou à la fois, furent associés, appelés, sollicités même (plusieurs s’en vantent aujourd’hui) à contribuer de leur plume à l’œuvre commune. […] Mais ce rôle d’urgence pour la critique n’a qu’un temps ; il trouve naturellement son terme dans le triomphe même des œuvres et des talents auxquels cette critique s’était vouée. […] L’essentiel, le seul point que nous tenions à constater, et que le public peut-être voudra bien reconnaître avec nous, est celui-ci : Somme toute, et à travers les nombreux incidents d’une course déjà longue, la Revue a fait de constants et d’heureux efforts pour se fortifier, pour s’améliorer, et, depuis bien des années déjà, pour réparer par l’importance des travaux en haute politique, en critique philosophique et littéraire, en relations de voyages, en études et informations sérieuses de toutes sortes, ce qu’elle perdait peu à peu en caprice et en fantaisie, ce qu’elle ne perdait pas seule et ce que les premiers talents eux-mêmes, le plus souvent fatigués en même temps que renchéris, ne produisaient plus qu’assez imparfaitement. […] Ceux même qui parlent ainsi, et qui se plaignent si haut, ont oublié de quelle manière leurs œuvres dernières, celles qui restaient dignes de leur talent et de la scène, ont été examinées dans cette Revue, non point avec l’enthousiasme qu’ils eussent désiré peut-être, du moins avec une bienveillance et une sincérité d’intention incontestable84.
La douleur profonde qu’il laisse à ses amis de Genève sera ressentie ici de tous ceux qui l’ont connu, et elle trouvera accès et sympathie auprès de ces lecteurs nombreux en qui il a éveillé si souvent un sourire à la fois et une larme. » Mais c’est trop peu dire, et ceux qui l’ont lu, qui l’ont suivi tant de fois dans ces excursions alpestres dont il savait si bien rendre la saine allégresse et l’âpre fraîcheur, ceux qui le suivront encore avec un intérêt ému dans les productions dernières où se jouait jusqu’au sein de la mort son talent de plus en plus mûr et fécond, ont droit à quelques particularités intimes sur l’écrivain ami et sur l’homme excellent. […] Ce merveilleux talent d’artiste ne se réservait en rien pour le public, et il continuait de se dépenser en nature autour de lui. […] Son triple talent d’observateur de caractères, de paysagiste expressif et d’humoriste folâtre, s’y croise et s’y combine presque à chaque page ; le pressentiment fatal à demi voilé s’y fait jour aussi : « Cette fois, en déposant le bâton de voyageur, nous dit-il, celui qui écrit ces lignes se doute tristement qu’il ne sera pas appelé à le reprendre de sitôt… Pour voyager avec plaisir, il faut pouvoir tout au moins regarder autour de soi sans précautions gênantes, et affronter sans souffrance le joyeux éclat du soleil. […] il m’écrivait à moi-même ces lignes aimables et familières, dans lesquelles il s’exagérait beaucoup trop sans doute la nature du service dont il parlait ; mais, même à ce titre, elles me sont précieuses, elles m’honorent, elles me vengeraient au besoin de certains reproches qu’on me fait parfois de m’aller prendre d’abord à des talents moins en vue ; elles le peignent enfin dans sa modestie sincère et dans sa façon allègre de porter ses maux : « Bonjour, … monsieur, vous ne me reconnaissez point !
Le hasard amène quelques exceptions, s’il est quelques âmes entraînées, ou par leur talent, ou par leur caractère, elles s’écarteront, peut-être, de la règle commune, et quelques palmes de gloire peuvent un jour les couronner ; mais elles n’échapperont pas à l’inévitable malheur qui s’attachera toujours à leur destinée. […] Les talents d’une femme, quels qu’ils soient, les inquiètent toujours dans leurs sentiments. […] D’ailleurs, la femme qui, en atteignant à une véritable supériorité, pourrait se croire au-dessus de la haine, et s’élèverait par sa pensée au sort des hommes les plus célèbres ; cette femme n’aurait jamais le calme et la force de tête qui les caractérisent ; l’imagination serait toujours la première de ses facultés : son talent pourrait s’en accroître, mais son âme serait trop fortement agitée, ses sentiments seraient troublés par ses chimères, ses actions entraînées par ses illusions ; son esprit, pourrait mériter quelque gloire, en donnant à ses écrits la justesse de la raison ; mais les grands talents, unis à une imagination passionnée, éclairent sur les résultats généraux et trompent sur les relations personnelles.