/ 2819
583. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

La tête se détachait du cou, une grosse tête blanche et rouge, et roulait avec bruit devant le trou du souffleur, montrant le disque saignant du cou, la vertèbre scindée, et tous les détails d’une viande de boucherie récemment taillée pour l’étalage. Mais voilà que, subitement, le torse raccourci, mû par la monomanie irrésistible du vol, se dressait, escamotait victorieusement sa propre tête, comme un jambon ou une bouteille de vin, et, bien plus avisé que le grand saint Denis, la fourrait dans sa poche ! […] Tous ces petits personnages d’un rouge écarlate comme un régiment anglais, avec un vaste plumet vert sur la tête comme les chasseurs de carrosse, exécutent des cabrioles et des voltiges merveilleuses sur de petits chevaux. […] Ils sont d’autant plus adroits et il leur est d’autant plus facile de retomber sur la tête, qu’elle est plus grosse et plus lourde que le reste du corps, comme les soldats en moelle de sureau qui ont un peu de plomb dans leur shako.

584. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

— Depuis lors, soit que l’élément féminin ou femmelin (comme l’a nommé un censeur austère) ait augmenté et redoublé chez les auteurs, soit que les femmes, de plus en plus appelées à l’initiation littéraire, aient répondu de plus en plus vivement, chaque écrivain célèbre a eu son cortège nombreux de femmes ; et si l’on retranche même ce qui est de la mode, de l’engouement, ce qui ne signifie rien en soi, puisque telle femme qui se jetait à la tête de lord Byron, de Chateaubriand ou de Lamartine, à leur moment, se serait jetée en d’autres temps à la tête d’un autre, il reste bien des physionomies particulières, distinctes, bien des figures non méconnaissables, dont l’entourage et l’accompagnement aideraient à définir le génie propre de l’écrivain et du poète ; car on aime si bien un auteur et on ne le préfère si décidément à tous, que parce qu’on s’apparente par quelque côté avec lui. […] Je vous assure que je ne cherche plus d’amis ; ceux que j’ai eus m’ont trompée : je n’ai que vous qui pouviez faire le bonheur et la douceur de ma vie, dont les conseils étaient si nécessaires à ma pauvre tête, et vous m’êtes enlevé ! […] Son imagination se montait, sa tête se prenait : « De quelque côté que je me tourne, écrivait-il à Mme de Verdelin (3 février 1765), je ne vois que griffes pour me déchirer et que gueules ouvertes pour m’engloutir. […] J’aimais fort la société de M. de Margency, lorsque je le voyais de temps en temps à Paris ; mais du matin au soir, et tête à tête ! […] Veut-on causer, on ne trouve pas une idée dans cette tête, ou, dans d’autres moments, on en découvre une foule de si petites, si petites, qu’elles se perdent en l’air avant que d’arriver à votre oreille.

585. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

En tête de tous, le roi donnait l’exemple. […] Une fillette de six ans est serrée dans un corps de baleine ; son vaste panier soutient une robe couverte de guirlandes ; elle porte sur la tête un savant échafaudage de faux cheveux, de coussins et de nœuds, rattaché par des épingles, couronné par des plumes, et tellement haut que souvent « le menton est à mi-chemin des pieds » ; parfois on lui met du rouge. […] Le joli est partout, dans les petites têtes spirituelles, dans les mains fluettes, dans l’ajustement chiffonné, dans les minois et dans les mines. Leur moindre geste, un air de tête boudeur, ou mutin, un bras mignon qui sort de son nid de dentelles, une taille ployante qui se penche à demi sur le métier à broder, le froufrou preste d’un éventail qui s’ouvre, tout ici est un régal pour les yeux et pour l’esprit. […] Ajoutez l’absence des causes qui font la tristesse moderne et mettent au-dessus de nos têtes un pesant ciel de plomb.

586. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Les aigles plongent du haut du firmament sur la tête de leurs ennemis et ne les mordent pas au talon. […] Quels que soient les désastres de l’incendie, une douce consolation lui est restée ; il compte les têtes qui lui sont chères : ô bonheur ! […] Sous ses branches touffues je découvris une multitude de nids d’oiseaux ; il y avait une famille de petites mésanges à tête noire et à gorge blanche ; elles étaient sept dans le même nid ; puis des pinsons et des chardonnerets ; les pères et les mères volaient sur ma tête, cherchant à donner la becquée à leurs petits. […] Nous sommes loin de le penser, sans doute ; nous ne pensons pas non plus que la nature produise souvent, et même produise deux fois un homme supérieur en puissance de tête à Goethe. […] Malheur aux peuples à plusieurs têtes !

587. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

Rousseau ait sali de son urine la marmite d’un voisin, ou qu’Alfieri ait eu la tête teigneuse et porté deux ou trois fois perruque dans son enfance ? […] Cependant je ne pus me faire au maintien superbe de ce roi Louis XV, qui, mesurant de la tête aux pieds la personne qu’on lui présentait, ne témoignait par aucun signe l’impression qu’il en recevait. […] Le monarque taciturne lui répondit par un mouvement de tête, et, se retournant vers l’un des courtisans qui le suivaient, il demanda où étaient restés les échevins, qui d’ordinaire accompagnent le prévôt. […] Telle fut la flamme qui, à dater de cette époque, vint insensiblement se placer à la tête de toutes mes affections, de toutes mes pensées, et qui désormais ne peut s’éteindre qu’avec ma vie. […] Monseigneur Lascaris en est à la tête.

/ 2819