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606. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

En campagne, Napoléon continue à gouverner, reçoit tous les jours les courriers des ministres, répond à tout en dictant, souvent à plusieurs secrétaires à la fois, qui le suivent difficilement. […] La lecture suivie du Lycée est aujourd’hui impossible. […] Le recul seul, la comparaison entre les générations qui l’ont précédée et celles qui l’ont suivie, a permis depuis de classer, de juger et de mesurer cette génération des enfants du siècle. […] Né à Besançon le 26 février 1802, le dernier de trois garçons, son enfance nomade suivit les garnisons de son père : Corse, Île d’Elbe, Naples. […] Elles font, dirait-on presque, avec Cromwell qu’elles précèdent et suivent, une sorte de trilogie, la trilogie de l’essai, du métier, de la technique.

607. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Il s’appliqua à en donner des bulletins suivis et utiles. […] Il suppose que son républicanisme prend à volonté toutes les formes : « Il a serpenté avec succès, dit-il, au travers des orages et des partis, se réservant toujours des expédients, quel que fût l’événement. » Rien ne paraît moins juste que cette assertion quand on a suivi, comme je viens de le faire, la ligne de Roederer jour par jour d’après ses écrits. […] C’est là que le premier consul a montré cette puissance d’attention et cette sagacité d’analyse qu’il peut porter vingt heures de suite sur une même affaire, si sa complication l’exige, ou sur divers objets, sans en mêler aucun, sans que le souvenir de la discussion qui vient de finir, la préoccupation de celle qui va suivre le distraient le moins du monde de la chose à laquelle il est actuellement occupé. […] Examinant chaque question en elle-même sous ces deux rapports, après l’avoir divisée par la plus exacte analyse et la plus déliée ; Interrogeant ensuite les grandes autorités, les temps, l’expérience ; se faisant rendre compte de la jurisprudence ancienne, des lois de Louis XIV, du grand Frédéric… Ce ne sont pas proprement des pages suivies que j’extrais, mais de simples notes que je rejoins, et que j’assemble ; il suffit, toutefois, de les rapprocher, tant elles concordent, pour voir se dessiner cette beauté consulaire dans toute sa vigueur et sa simplicité : Le premier consul n’a eu besoin que de ministres qui l’entendissent, jamais de ministres qui le suppléassent.  […] Lebrun est un homme du premier mérite, Cretet est un homme de troisième ligne. » (Suit un long interrogatoire très précis sur Lebrun ; ce qu’il était, quelles places il a occupées avant la Révolution ; quel rôle depuis ; ce qu’il a fait comme homme de lettres ; sa réputation.

608. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

Il fallait bien qu’il eût dans son amour-propre, et dans la manière dont il le portait, quelque chose qui choquait et offensait l’amour-propre des autres, pour qu’il ait excité, aux heures de ses succès militaires et de ses plus grands services, un déchaînement d’envie et une irritation telle qu’on en connaît peu d’exemples. « Mon fils, lui avait dit sa spirituelle mère quand il entra dans le monde, parlez toujours de vous au roi, et jamais aux autres. » Villars, a-t-on remarqué, ne suivit que la première moitié du conseil : il parlait constamment de lui devant tous et se citait en exemple dans les grandes comme dans les petites choses. — Après la paix de Riswick, le roi jugea à propos de l’envoyer à Vienne comme ambassadeur (1699-1701) ; le poste était important à cause de la question pendante de la succession d’Espagne, qui pouvait à tout moment s’ouvrir ; il s’agissait de négocier par précaution un traité de partage avec l’empereur, ce traité dût-il ne pas s’exécuter ensuite. […] On serait presque tenté de croire que ce qui suit est un petit apologue de son invention, qu’il débite à l’usage du ministre : Vous ne serez pas fâché, écrivait-il de Vienne à Chamillart, de connaître quelque chose du caractère de messieurs les princes de Bade et de Savoie, et vous en jugerez sur ce que je leur ai ouï dire de celui des autres généraux : — Les uns, disent-ils, parvenus aux dignités à force d’années et de patience, se trouvant un commandement inespéré, et qu’ils doivent plutôt à leur bonne constitution qu’à leur génie ou à leurs actions, sont plus que contents de ne rien faire de mal. — D’autres, plus heureux par des succès qu’ils doivent uniquement à la valeur des troupes, aux fautes de leurs ennemis, enfin à leur seule fortune, ne veulent plus la commettre, quelque avantage qu’on leur fasse voir dans des mouvements qui pourraient détruire un ennemi déjà en désordre, sans les trop engager. — Mais une troisième espèce d’hommes, assez rare à la vérité, compte de n’avoir rien fait tant qu’il reste quelque chose à faire, profitant de la terreur qui aveugle presque toujours le vaincu, à tel point que les plus grosses rivières, les meilleurs bastions ne lui paraissent plus un rempart. […] Faut-il que les raisons de cour, les protections, certains emplois déjà occupés, le grand âge, de longs mais froids services… Il s’embrouille dans sa phrase (ce qui lui arrive quelquefois quand les phrases sont longues), et il ne l’achève pas ; mais il suit très bien sa pensée, et il veut dire ce qu’il redit souvent encore ailleurs en des termes que je résume ainsi : « Les hommes à la guerre sont rares ; avec mes défauts, je crois en être un ; essayez de moi. » Villars, à la tête d’un détachement considérable et par le fait général en chef, investi de la confiance du roi, ne songe qu’à la justifier. […] On ne suivit pas exactement la méthode de l’art dans l’attaque, et, sentant de la mollesse dans les assiégés, Villars passa sur quelques règles que le corps du génie a coutume d’observer. […] En vérité, cela est plus sûr que de suivre l’avis des courtisans, qui, ne songeant qu’à détruire ceux qui n’ont pour eux que leurs services, pourraient établir, sous un roi moins juste et moins grand que celui que la bonté de Dieu nous a donné, cette maxime si dangereuse pour les maîtres de la terre, qu’il vaut mieux songer à leur plaire qu’à les servir.

609. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Les Espagnols, en vrais brutaux, lâchent leurs chiens sur les Indiens comme sur des bêtes féroces ; ils tuent, brûlent, massacrent, pillent le Nouveau Monde comme une ville prise d’assaut, sans pitié comme sans discernement… Les Américains des États-Unis, plus humains, plus modérés, plus respectueux du droit et de la légalité, jamais sanguinaires, sont plus profondément destructeurs, et il est impossible de douter qu’avant cent ans il ne restera pas dans l’Amérique du Nord, non pas une seule nation, mais un seul homme appartenant à la plus remarquable des races indiennes… » L’exposition ainsi faite, le moral et l’esprit de la scène ainsi expliqués complètement, il la raconte si bien que cela finit par être une peinture navrante : « Six à sept mille Indiens ont déjà passé le grand fleuve, ceux qui arrivaient à Memphis y venaient dans le dessein de suivre leurs compatriotes. […] Il y avait, au milieu des vieillards, une jeune fille qui s’était cassé le bras huit jours auparavant ; faute de soins, le bras avait gelé au-dessous de la fracture : il fallait cependant qu’elle suivît la marche commune. […] A force de vouloir suivre l’influence de la Démocratie sur les sentiments et les mœurs, il retombait et tournait presque inévitablement dans le même cercle de considérations et dans les mêmes pronostics. […] Je vous demande pardon d’oser vous répondre et suivre avec vous une telle controverse ; mais, puisque vous le voulez, je vous dirai que le moment sera venu quand vous aurez terminé votre grande entreprise, et mis par là le sceau à votre réputation ; car vous serez plus fort, plus puissant, plus imposant, et cette considération a d’autant plus de poids que vous ne terminerez peut-être pas, si vous êtes jeté dès à présent dans le mouvement des affaires. […] Royer-Collard, baissant un peu le ton dans l’une des lettres suivantes, était plus dans le vrai lorsqu’il insistait sur l’action utile et prolongée de l’écrivain, sur cette vocation qui n’avait pas été la sienne, à lui, et qui était de nature moins viagère ; on ne saurait définir d’une manière plus noble toute l’ambition permise à une littérature élevée, toute sa portée dans l’avenir, en même temps que ses difficultés, ses arrêts et ses limites : « … Vous, monsieur, il vous est donné de marquer autrement votre passage sur la terre et d’y tracer votre sillon ; vous l’avez commencé ; vous le suivrez sans l’achever jamais ; car aucun homme n’a jamais rien fini.

610. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Elle jette, de plus, une vive lumière sur l’époque qui l’a précédée et sur celle qui la suit ; c’est certainement un des actes de la Révolution française qui fait le mieux juger toute la pièce, et permet le plus de dire sur l’ensemble de celle-ci tout ce qu’on peut avoir à en dire. […] Enfin, il y a une certaine affectation à reprendre le chemin que vient de suivre M.  […] Nous ne sommes d’ailleurs pas au bout de cette sorte de confession intellectuelle, la plus curieuse et la plus détaillée que je connaisse : « A cette première manière d’envisager le sujet, poursuis l’auteur, en a succédé dans mon esprit une autre que voici : il ne s’agirait plus d’un long ouvrage, mais d’un livre assez court, un volume peut-être ; je ne ferais plus, à proprement parler, l’histoire de l’Empire, mais un ensemble de réflexions et de jugements sur cette histoire ; j’indiquerais les faits sans doute et j’en suivrais le fil, mais ma principale affaire ne serait pas de les raconter ; j’aurais, surtout, à faire comprendre les principaux, à faire voir les causes diverses qui en sont sorties ; comment l’Empire est venu, comment il a pu s’établir au milieu de la société créée par la Révolution ; quels ont été les moyens dont il s’est servi ; quelle était la nature vraie de l’homme qui l’a fondé ; ce qui a fait son succès, ce qui a fait ses revers ; l’influence passagère et l’influence durable qu’il a exercée sur les destinées du monde, et en particulier sur celles de la France. […] Un tel contre-temps funèbre, survenant en pleines obsèques, scandalisa et déconcerta nombre de hauts personnages officiels présents : on crut devoir télégraphier à Fontainebleau pour savoir si les voitures de la Cour devaient continuer de suivre. […] Vous êtes du nombre de ceux que le public aime à voir devant lui, pour lui tracer la route d’opinion qu’il doit suivre.

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