Le style est un peu traînant, mais la pensée est délicate. […] Là où Fléchier n’avait songé qu’à exercer sa plume et à badiner avec ses amis sur les singularités d’un voyage extraordinaire, il se trouve nous avoir ouvert un jour sur un coin de l’ancienne France qui, à travers ce style si poli, éclate d’autant plus brusquement à nos yeux. […] Ce récit, en style de procès-verbal, vient contrôler utilement l’élégante chronique de Fléchier, et il la confirme de tout point. « Il en prouve, suivant moi, l’authenticité de la manière la plus évidente. » C’est la conclusion d’un magistrat exact et consciencieux, M. […] [NdA] À la date de 1682, Fléchier écrivait encore à Mlle des Houlières dans le style de l’hôtel Rambouillet : « J’aurais assez bien reposé la nuit, si je n’avais eu aucune inquiétude de votre mal, et je sens bien que la joie de vous voir achèvera de me guérir.
Mais sa prose française est d’un homme qui a vécu avec les anciens : dans ces cadres118 qu’il emprunte encore un peu trop volontiers au goût du moyen âge, dans ces visions pédantesquement allégoriques où ratiocinent interminablement de sèches abstractions, le détail du style, le moule de la phrase viennent de Cicéron et de Suétone : surtout Chartier imite Sénèque, et s’essaie, parfois avec bonheur, à en retrouver la brièveté nerveuse et le trait119. Ce choix de Sénèque comme modèle de style est un des signes avant-coureurs de la Renaissance où l’on peut le moins se tromper. […] Mais il a le don du style : il renouvelle ces thèmes usés, à force de grâce imprévue, d’images fraîches ; ce que tout le monde a dit depuis trois siècles, il le dit, mais comme personne. […] Le détail de son style est d’un artiste : il a le sentiment de la puissance de la sobriété : il serre l’idée dans l’image, courte, franche, saisissante : c’est un maître de l’expression nerveuse et chaude.
Il abhorre Paris ; rien ne pourra le changer. » Ou bien : « Valmore m’a avoué qu’il préférait toutes les chances désastreuses que nous éprouvons de faillite en faillite et de voyage en voyage, à rentrer jamais à la Comédie française qu’il abhorre. » Ou bien : « Valmore est tout à fait réveillé de ses beaux rêves d’artiste… Il veut nous emmener dans quelque cour étrangère ou essayer une direction théâtrale à Paris… » Ou encore : « Mon mari qui t’aime de toujours incline jusqu’à tes genoux toutes ses fiertés d’homme… » (Cela, c’est tout à fait l’accent « Delobelle », ou, mieux, le style « Delmar » : vous vous rappelez l’étonnant cabot-pontife de l’Éducation sentimentale ?) […] « Autre chose : j’ai eu entre les mains une lettre non signée et sans date, émanant évidemment de Marceline ; le style et l’écriture ne laissaient aucun doute. […] Son lecteur était clair et sec, mais le style ! […] Tu nous aiderais à traduire Horace dans un style élégant et philosophique comme celui-ci : Cueillons le jour.
Et c’est pourquoi le vocabulaire et le style de Durtal ont pu rester aussi concrets, aussi brutaux dans l’expression des phénomènes de la vie mystique que jadis dans la peinture de la vie immonde. […] Le style du père Labosse s’éloigne presque autant du langage usuel que de la prose de Bossuet. […] Cette probité paraît dans son style si exact, si concis, si étroitement appliqué sur les idées, d’une clarté extraordinaire dans la plus vigoureuse subtilité, dédaigneux de la musique, dédaigneux de la couleur, et vivant (mais avec intensité) du seul mouvement de la pensée. […] Dans ses derniers ouvrages surtout, son style est celui d’un extraordinaire « sensitif ».
Au moment où Balzac écrivait son Traité de la vie élégante, un homme qui n’est pas son égal, à coup sûr, mais qui n’a pas non plus d’égaux, Stendhal, venait, dans son Rouge et Noir, de révéler des facultés puissantes d’observation créatrice et un style de génie ; car il ne ressemble au style de personne. […] Seulement, pour eux, il réussit à tel point que le Décaméron ne fut plus qu’une guirlande pâlie en comparaison de ces trois éblouissants dizains des Contes drolatiques, — ce segment d’un cercle d’or et de cinabre qui n’a pas été terminé, — et si Rabelais ne fut pas dépassé, — car Rabelais est une des Colonnes d’Hercule du bien-dire, — il fut, du moins, égalé pour la grandiose bonhomie du style et la naïveté, admirablement comique, de l’expression. […] Avec le style, telle est la seconde puissance de Rabelais, la seconde corne de ce front où le dieu fait soubassement au satyre.