Le souvenir d’Agrippine ne reste attaché à aucune mesure de cette sorte. […] Quelques-uns de ces gentils poètes ont la grâce ; mais tous nous ont paru, — vous vous en souvenez ? […] Souvenirs inoubliables ! […] Je vous dirais tout simplement : « Ecoutez, regardez, et souvenez-vous, « mes sœurs, souvenez-vous ! […] C’est le palais du souvenir ; et, si le souvenir des douleurs nous meurtrit, le souvenir des joies nous crucifie.
Campaux (un peu plus sérieux et plus ému que nous sur le compte de Villon), il voulut faire ses adieux au monde qu’il quittait, et laisser de lui un souvenir, d’abord à celle qui était la cause de son départ, et que, par un reste d’espoir si naturel aux malheureux, il ne désespérait peut-être pas de toucher par l’expression de sa douleur si navrante et si résignée ; ensuite à son maître Guillaume de Villon, auquel il devait tant, ainsi qu’au petit nombre d’amis qui lui étaient restés fidèles ; enfin aux nombreux compagnons qui n’avaient pas épargné sans doute les railleries à sa disgrâce, et sur lesquels il était bien aise de prendre sa revanche. […] Il a pu naître sur les bords de l’Oise ; il n’y a certainement pas grandi : autrement, à défaut de son cœur, ses yeux en eussent gardé le souvenir, et ses rêves au moins lui eussent plus d’une fois rapporté le parfum des herbes et des fleurs de la rive natale. […] Toujours, quand il sera question de la rapidité et de la fuite des générations des hommes qui ressemblent, a dit le vieil Homère, aux feuilles des forêts ; toujours, quand on considérera la brièveté et le terme si court assigné aux plus nobles et aux plus triomphantes destinées : Stat sua quaeque dies, breve et irreparabile tempus Omnibus est vitae… mais surtout lorsque la pensée se reportera à ces images riantes et fugitives de la beauté évanouie, depuis Hélène jusqu’à Ninon, à ces groupes passagers qui semblent tour à tour emportés dans l’abîme par une danse légère, à ces femmes du Décaméron, de l’Heptaméron à celles des fêtes de Venise ou de la cour de Ferrare, à ces cortèges de Diane, — de la Diane de Henri II, — qui animaient les chasses galantes d’Anet, de Chambord ou de Fontainebleau ; quand on évoquera en souvenir les fières, les pompeuses ou tendres rivales qui faisaient guirlande autour de la jeunesse de Louis XIV : Ces belles Montbazons, ces Châtillons brillantes, Dansant avec Louis sous des berceaux de fleurs ; quand, plus près encore, mais déjà bien loin, on repassera ces noms qui résonnaient si vifs et si frais dans notre jeunesse, les reines des élégances d’alors, les Juliette, les Hortense, ensuite les Delphine, les Elvire même et jusqu’aux Lisette des poètes, et quand on se demandera avec un retour de tristesse : « Où sont-elles ? […] Plus d’une fois, le soir, Villon en fuite, traqué par les gens du guet, se sera souvenu tout d’un coup, en voyant la lampe briller à la fenêtre du studieux jeune homme, qu’il avait là un admirateur, un ami, et il lui aura demandé abri et gîte pour une nuit ou deux, en prétextant quelque belle et galante histoire ; et, toute la nuit durant, pour le payer de son accueil, il l’aura charmé de ses récits, ébloui de ses saillies et de sa verve.
En effet, cet article du 19 mars 1815, si l’on s’en souvient, où il se déchaînait en style d’émigré contre Bonaparte, Attila et le Gengiskhan moderne, se terminait par une profession de foi, et cette profession de foi elle-même se couronnait par un serment que personne ne lui demandait et qu’il proférait devant tous, la main étendue et comme à la face du Ciel : « … Je n’irai pas, misérable transfuge, me traîner d’un pouvoir à l’autre, couvrir l’infamie par le sophisme, et balbutier des mots profanes pour racheter une vie honteuse. » Quand Lamennais s’écria dans un moment solennel : « Je vous ferai voir ce que c’est qu’un prêtre », et qu’ensuite il donna à cet engagement si éclatant le démenti qu’on sait, il eut beau faire désormais, être un grand écrivain, et plus grand même que par le passé, un homme sincère, désintéressé, un cœur dévoré de l’amour des hommes : il se déconsidéra. […] Souvenez-vous de ce que je vous dis maintenant, surveillez-le (Napoléon), et si jamais il vous paraît marcher au despotisme, ne croyez plus ce que je vous dirai dans la suite. […] L’homme qui pourrait nous parler de M. de Constant, comme il l’appelle, en toute connaissance de cause, avec une entière fidélité et une bienveillance suffisante de souvenirs, et en le replaçant dans son cadre à l’époque de sa meilleure verve de salon, serait M. de Barante. […] Goulmann, dans ses Souvenirs ou Réminiscences, raconte (t.
III Il est temps de le suivre en Afrique où il fera désormais ses plus belles conquêtes, et où il aura à peindre non plus seulement des souvenirs de grande armée, mais des exploits présents et de chaque matin, dans lesquels il fut proche témoin et presque acteur. […] Je t’assure que, dès ce moment, je n’ai plus pensé qu’au bonheur de joindre à tous les souvenirs que j’ai déjà dans la tête une nouvelle collection de matériaux d’un caractère tout particulier. […] Il revint donc à moi, me fit passer dans une pièce voisine, et me demanda si j’avais du temps à perdre. « J’ai là, ajouta-t-il, une toile toute tendue et toute prête à servir ; j’y veux peindre votre portrait que vous conserverez en souvenir de cette journée. […] C’est ainsi qu’ils doivent apparaître dans les portraits de haut style, peints de souvenir plutôt que d’après la réalité.
Il ne reçut pas l’éducation classique et de collège, et il se trouvera ainsi plus tard libre et affranchi de toute tradition, garanti contre l’imitation qui naît du souvenir. […] Revenu à Paris, il continuait de faire des dessins de diverses sortes et des aquarelles, lorsqu’un jour Susse, qui lui en achetait une, exigea une signature : « Le public, disait l’éditeur, aime des œuvres qui soient signées. » Gavarni, mis en demeure d’écrire un nom, se souvint alors de la vallée de Gavarnie qu’il avait habitée et de la cascade qu’il aimait, et, sur le comptoir de Susse, il signa son dessin de ce nom d’affection qu’il mit seulement au masculin. […] Il est parti d’individualités, même grossières et ignobles, comme celles du bal Chicard, pour arriver à quelque chose de fin et de galant (voir le n°10 des Souvenirs du Bal Chicard ; ne pas oublier la femme étendue). […] La nécessité, en somme, lui a été plus mère que marâtre ; elle l’a forcé, dans cette voie toute nouvelle où il faisait chaque jour un pas de plus, à tirer de lui et de son talent l’œuvre unique, légère, dispersée, innombrable, rieuse, aimable et satirique, profonde en définitive, qui assure à son nom dès aujourd’hui et chez nos neveux ce souvenir net, distinct, le plus à envier de tous pour l’artiste.