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612. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

C’était une idée fausse, quoique paternelle ; heureusement la Providence la trompa : le jeune homme étudiait le grec, le latin, le grimoire de jurisprudence par obéissance ; mais la veste de velours du paysan provençal et ses guêtres de cuir tanné lui paraissaient aussi nobles que la toge râpée du trafiquant de paroles, et, de plus, le souvenir mordant de sa jeune mère, qui l’adorait et qui pleurait son absence, le rappelait sans cesse à ses oliviers de Maillane. […] Ce livre était le tribut de souvenir que le poète découvert par Adolphe Dumas m’avait promis l’été dernier. […] Nous en étions, s’il m’en souvient, à l’endroit où elle dit que dans le cloître elle va se jeter, et où l’ardent chasseur répond qu’il y entrera comme confesseur… Mais de nouveau voyez l’obstacle qu’elle oppose. » — « Si du couvent tu passes les portes, tu trouveras toutes les nonnes autour de moi errantes, car en suaire tu me verras. » « Ô Magali, si tu te fais la pauvre morte, adoncques je me ferai la terre ; là je t’aurai. » — « Maintenant je commence enfin à croire que tu ne me parles pas en riant. Voilà mon annelet de verre pour souvenir, beau jouvenceau. » « Ô Magali, tu me fais du bien ! […] Souviens-toi de ma parole : tu ne le verras plus, ton vilain amoureux. » Le vannier se revenge à ces insultes en termes d’une dignité modeste, mais virile ; il rappelle ses campagnes en mer et sa probité intacte.

613. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

Ou bien, dans une situation moins marquée, la mention d’un mot, ou d’un nom, fait naître des émotions vives ou flottantes dans le cœur d’un personnage (souvenirs, espoirs, craintes) ; et de nouveau c’est la musique qui nous révèle ces émotions passagères. […] Il se chante lentement, et on se souvient que la mélodie en est très expressive et d’une couleur pénétrante ; on ne l’oublie plus. […] Ce motif est tantôt surtout musical (81), tantôt venant après un texte, représentant l’origine (32), la cérémonie (72. 73), le souvenir de la cérémonie (177. 213. 214), ou chaque fois qu’il est fait allusion au Gral ; il serait obscur (178) dans la plainte du sauveur (Sauve-moi, délivre-moi des mains souillées du péché), si l’on ne nous l’expliquait par le souvenir de l’ancienne pureté du Gral. […] Sans parler des représentations de Rienzi eb 1869, ses efforts pour faire entendre des fragments de la Tétralogie aux Concerts-Populaires en 1876 demeurent un titre de gloire stable à notre souvenir. […] Chacun se souvient de cet incomparable passage : « Ach !

614. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Souvenez-vous de ce qui se passa. […] Qu’ils se souviennent de mon mot trop significatif à la tribune : Toutes les cantates ne sont pas des Marseillaises ! […] Cependant, après quelques jours de vagabondage solitaire dans les rues, dans les campagnes et dans les théâtres de Florence, je me souvins que j’avais quelques lettres de recommandation dans ma malle. […] Je donnais un souvenir, un moment, une commémoration, une pitié, un enthousiasme de jeune homme studieux à chacune de ces ombres, plus vivantes peut-être dans la pensée des siècles qui foulent leurs cendres que dans la pensée de leurs contemporains et de leurs compatriotes. […] Les traits de son visage, trop arrondis et trop obtus aussi, ne conservaient aucunes lignes pures de beauté idéale ; mais ses yeux avaient une lumière, ses cheveux cendrés une teinte, sa bouche un accueil, toute sa physionomie une intelligence et une grâce d’expression qui faisaient souvenir, si elles ne faisaient plus admirer.

615. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Le souvenir toujours renaissant de sa Béatrice, première et dernière apparition de la beauté céleste sous un voile mortel, l’obséda, tantôt délicieusement, tantôt douloureusement, jusqu’au dernier jour. […] XII Je me souviens aujourd’hui de tous les détails les plus fugitifs de ce beau coucher de soleil, au mois de mars, dans la campagne de Rome ; je m’en souviens avec plus de présence des objets dans les yeux que je ne la ressentais même alors. […] Je n’ai jamais perdu le souvenir de ces heures agréables passées dans son cabinet de traducteur ou dans sa chancellerie de diplomate. Ce souvenir m’a peut-être rendu partial pour sa traduction et pour ses commentaires ; mais j’avoue que jusqu’ici je n’ai pu lire avec une complète sécurité de sens le poème du Dante que dans l’édition en deux langues de M.  […] » Alors aussi, quoique protégé par le souvenir de Béatrice, sa sensibilité elle-même résistait mal aux séductions d’autres beautés.

616. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Cette sinistre ruine est pleine encore des souvenirs des malheurs et des amours de ce prince ottoman avec la belle fille de son geôlier. […] Les vents sonores qui sortent des forêts, et qui semblent conserver les bruissements de leurs feuilles, tintaient par bouffées contre les vitres et me faisaient frissonner de délices et de souvenirs dans ma couche. […] Je me souviens que je composais des prières fleuries, toutes formées, comme d’autant de grains de chapelet, des plus jolies fleurs champêtres cueillies çà et là sur ma route, et enfilées, en alternant les couleurs, par un fil arraché à mes bas. […] Il fit un prodige d’imagination, il éblouit et il enchanta le monde avec son livre, il fut le génie des Ruines, tout paré de fleurs sépulcrales, de souvenirs, de traditions, de mystères, de sentiment, opposant le cœur à l’esprit, et reconstruisant le vieux temple avec ses débris ; il fut l’Esdras du christianisme après la captivité de Babylone. […] Je me souviens qu’un jour, assis avec quatre de ces condisciples sur un tronc d’arbre au bord du Rhône, nous lûmes pendant toute la récréation quelques chapitres du Génie du Christianisme et que nous en fûmes émus jusqu’aux larmes d’admiration.

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