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1566. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — II. (Fin.) » pp. 98-121

Ici se déclare en traits bien énergiques l’hommage loyal et généreux que rend Froissart à la vaillance des vaincus : selon lui, la bataille de Poitiers n’est point à comparer à celle de Crécy, bien qu’aussi fatale par le sort, mais elle fut bien autrement combattue : Et s’acquittèrent si loyalement envers leur seigneur tous ceux qui demeurèrent à Poitiers morts ou pris, qu’encore en sont les héritiers à honorer et les noms des vaillants hommes qui y combattirent à recommander. […] ô qu’il est doux de plaindre Le sort d’un ennemi lorsqu’il n’est plus à craindre ! […] La réflexion qui termine et que l’auteur ne fait pas en son nom, mais qu’il place dans la bouche des chevaliers présents, ce pronostic tout flatteur et favorable sur l’avenir du prince-roi, s’il lui est donné de vivre pour y atteindre, rappelle dans une perspective éloignée l’instabilité des choses humaines et les compensations du sort, qui ne permet pas aux plus heureux d’accomplir tout leur bonheur :-ce prince si brillant, et à qui tous souhaitent vie, ne régnera pas en effet, et mourra plein de gloire, mais avant le temps.

1567. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Elle sortait d’une tempête qui l’avait ébranlée profondément, et était à la veille d’une nouvelle tempête. […] Une personne spirituelle est le musicien habile, qui, des sons isolés et quelquefois discordants qu’il entend, sait, en les arrangeant à propos, faire sortir l’harmonie, le mouvement et la vie. […] Il ne s’agit point de cela avec Bonstetten, il s’agit de l’éducation des choses, de l’éducation vive, de ce qui fait dire à ceux qui en sont témoins : « Il y a des esprits diligents qui sont comme les abeilles, et qui ne rentrent que pour sortir aussitôt. » Sur cette vigilance du dedans, sur cette éducation continuelle qui fait qu’on ne se fige pas à un certain âge, qu’on ne se rouille pas, et que de toute la force de son esprit on repousse le poids des ans, — et sur l’inconvénient de ne le pas faire —, il a écrit des choses bien spirituelles, bien piquantes et aussi très élevées : La bêtise a son développement comme l’esprit, par des lois inverses de celles de l’esprit.

1568. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

Élève du collège d’Harcourt, il entra de bonne heure aux Affaires étrangères ; mais il en sortit sur quelque dénonciation politique en 1795. […] Aux séances de son Académie, il se plaçait près de la porte, afin de pouvoir sortir le premier et s’esquiver. […] Mais Boissonade ne l’entendait pas ainsi, à la Rodrigue : c’eût été sortir tout à fait de son caractère et de ses mœurs.

1569. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Plus de la moitié des chances de succès sont là, non-seulement parce qu’il faut trouver un sujet qui intéresse le public, mais surtout parce qu’il en faut découvrir un qui m’anime moi-même et fasse sortir de moi tout ce que je puis donner. […] Mais en y réfléchissant, il me vient de grandes hésitations à traiter le sujet de cette manière : ainsi envisagé, l’ouvrage serait une entreprise de très-longue haleine ; de plus, le mérite principal de l’historien est de savoir bien faire le tissu des faits, et j’ignore si cet art est à ma portée : ce à quoi j’ai le mieux réussi jusqu’à présent, c’est à juger les faits plutôt qu’à les raconter ; et, dans une histoire proprement dite, cette faculté que je me connais n’aurait à s’exercer que de loin en loin et d’une façon secondaire, à moins de sortir du genre et d’alourdir le récit. […] Les intérêts de ce grand nombre, les questions vitales qui les touchent, l’organisation peut-être qui en doit sortir, n’ont pas de protecteur plus vigilant, plus éclairé que ce chef unique qui n’appartient à aucune classe et qui n’en a pas les méfiances.

1570. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

En présence de ce sort nouveau et aventureux qui attendait les poèmes homériques, ainsi lancés derechef à travers tous les périls de la critique sur le vaste océan des conjectures, un admirateur attristé du vieil Homère, se voyant arraché tout à coup à ses habitudes, aurait pu, par contraste, adresser aux amis de Virgile ces paroles de félicitation empruntées au poète lui-même : Vivite felices, quibus est fortuna peracta Iam sua ; nos alia ex aliis in fata vocamur. […] Le détail des Bucoliques est d’une continuelle et parfaite observation rurale, d’une peinture fidèle, prise sur nature, et du rendu le plus délicat ; elles sont bien d’un poète qui a vécu aux champs et qui les aime, et chaque fois qu’on sort de les relire, on ne peut que répéter avec M. de Maistre : « l’Énéide est belle, mais les Bucoliques sont aimables. » Ayant écrit moi-même autrefois une Étude sur Virgile, il m’est resté quelque surcroît d’idées et de remarques que je demande à joindre ici comme un dernier hommage et tribut au souverain poète à qui j’aurais aimé, moi aussi, à élever mon autel. […] Il ne voulait pas davantage des chefs du grand parti whig, et il s’imagina qu’il aurait meilleur marché de Pitt, qu’il avait obligé en 1761 de sortir du ministère et qui, depuis, vivait fort à l’écart, faisant pourtant à l’occasion une vive opposition à son beau-frère George Grenville.

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