Un négociateur animé d’un plus vif sentiment national eût, certes, fait en sorte d’obtenir mieux de la bienveillance d’Alexandre, très porté pour la France à cette époque, et il eût au moins disputé le terrain pied à pied ; mais un tel négociateur ne pouvait se trouver alors dans la ligne et dans le rôle de M. de Talleyrand. […] Je crois que je vous écrirai encore une fois d’ici. — Il me semble que tout le monde a quitté Paris : il n’en arrive point de lettres, de telle sorte que je ne saurai plus comment va le monde, surtout s’il y a censure. — L’affaire Maubreuil, que je lis dans les journaux35, me paraît se réduire à ceci : Donnez-moi de l’argent ou je ferai du scandale. […] Mais comment un esprit si net et si juste en prose pouvait-il se prendre d’une sorte d’admiration pour de tels amphigouris soi-disant lyriques ? […] Royer-Collard en entrant dans le salon fut : « Monsieur, vous avez des abords bien sévères… » On ne dit pas la suite ; mais interpellé de la sorte, l’homme à l’esprit de riposte ne dut pas être en reste.
Je vis en entrant une jeune femme aux beaux yeux, au beau front, aux cheveux noirs un peu courts, vêtue d’une sorte de robe de chambre sombre des plus simples. […] Elle me le faisait assez bien sentir, tout en s’y prêtant avec une sorte de docilité gracieuse : « Mardi soir, « Mon ami, je recevrai M. […] Je les apprécie bien comme de belles fleurs et de beaux fruits, mais je ne sympathise pas avec eux ; ils m’inspirent une sorte de jalousie mauvaise et chagrine : car, après tout, pourquoi ne suis-je pas comme eux ? […] « Tout le monde me fait des compliments, tout le monde me félicite, et moi je ne sais, je m’étonne, je me dis en me considérant si bien peint et si flatté de la sorte : Est-ce donc moi ?
Aussi, nous qui regrettons personnellement, et regretterons jusqu’au bout, comme y ayant le plus gagné à cet âge de notre meilleure jeunesse, les commencements lyriques où un groupe uni de poëtes se fit jour dans le siècle étonné, — pour nous, qui de l’illusion exagérée de ces orages littéraires, à défaut d’orages plus dévorants, emportions alors au fond du cœur quelque impression presque grandiose et solennelle, comme le jeune Riouffe de sa nuit passée avec les Girondins (car les sentiments réels que l’âme recueille sont moins en raison des choses elles-mêmes qu’en proportion de l’enthousiasme qu’elle y a semé) ; nous donc, qui avons eu surtout à souffrir de l’isolement qui s’est fait en poésie, nous reconnaissons volontiers combien l’entière diffusion d’aujourd’hui est plus favorable au développement ultérieur de chacun, et combien, à certains égards, cette sorte d’anarchie assez pacifique, qui a succédé au groupe militant, exprime avec plus de vérité l’état poétique de l’époque. […] La pensée lyrique, et surtout la portion la plus molle, la plus délicate de celle-ci, la pensée élégiaque, intime, craignait un peu le moment de la victoire à cause du bruit et de l’invasion des profanes ; elle insistait avec une sorte de timidité superstitieuse sur cette interdiction quasi pythagoricienne : Odi profanum vulgus et arceo. […] Il y a deux sortes de poëtes : ceux qui sont capables d’invention, d’art à proprement parler, doués d’imagination, de conception en sus de leur sensibilité ; qui possèdent cet organe applicable à divers sujets, qu’on nomme le talent : et il y a ceux en qui ce talent n’est nullement distinct de la sensibilité personnelle, et qui, par une confusion un peu débile mais touchante, ne sont poëtes qu’en tant qu’amants et présentement affectés. […] « C’est alors que le théâtre offrit, pour eux et pour moi, une sorte de refuge ; — on m’apprit à chanter, — je tâchai de devenir gaie, — mais j’étais mieux dans les rôles de mélancolie et de passion. — C’est tout à peu près de mon sort.
Pour nous, qui n’avions été, dans cette affaire, que le rédacteur ou plutôt l’arrangeur des notices, renseignements et pièces de toutes sortes, si obligeamment confiés à nos soins par M.E. […] Mais il vient un moment où l’on a droit de juger à son tour ceux qui vous ont précédé et guidé, surtout si tout le monde les juge, et si eux-mêmes, hommes de publicité et de parole, ils ont provoqué ce regard scrutateur par toutes sortes d’éclats, d’indiscrétions moqueuses et de confidences à haute voix. […] On m’assure que le xviiie siècle était coutumier de ces sortes de propos dans les correspondances familières, même entre hommes et femme s ; ainsi je trouve un de ces mots un peu gros dans une lettre que l’aimable et tendre chevalier d’Aydie (l’amant de Mlle Aïssé) écrivait à Mme Du Deffand. […] Au moment où il parlait de la sorte, il était sincère, ou il se le persuadait ; son esprit constamment nourri, à travers tout, d’études sérieuses, avait puisé ses premiers instincts politiques dans l’exemple des États-Unis d’Amérique et dans les institutions de l’Angleterre.
Daunou en particulier, ce vénérable représentant de la littérature et de la philosophie du xviiie siècle, rangea autour de Boileau, avec une sorte de piété, tous les faits, tous les jugements, toutes les apologies qui se rattachent à cette grande cause littéraire et philosophique. […] Vous aurez fait de beaux et légitimes raisonnements sur les races ou les époques prosaïques ; mais il plaira à Dieu que Pindare sorte un jour de Béotie, ou qu’un autre jour André Chénier naisse et meure au xviiie siècle. […] C’est le poète-auteur, sachant converser et vivre5, mais véridique, irascible à l’idée du faux, prenant feu pour le juste, et arrivant quelquefois par sentiment d’équité littéraire à une sorte d’attendrissement moral et de rayonnement lumineux, comme dans son Épître à Racine6. […] si en ces sortes de choses gisait la poésie avec tous ses mystères ?