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253. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Elles deviennent alors une sorte de corps de préceptes d’hygiène physiologique et d’hygiène mentale. […] Puisque l’homme s’est habitué à ne pouvoir vivre qu’en société, il devait naître en lui, et dans les groupes qu’il compose, une sorte d’instinct social, d’âme collective, trop faible pour lutter avec un succès continu contre les désirs égoïstes, mais qui pourrait compenser sa faiblesse par la ruse. […] Et c’est aussi la combinaison qui résulte de tous ces « nous » installés dans tous les « moi » de leurs actions et de leurs réactions continues, de leur synthèse, qui constitue une sorte d’âme sociale, exprimant la société comme l’âme de chacun exprime l’individu. […] Bien souvent il n’arrive qu’à une transformation apparente, il a fait de l’humanité une sorte de théâtre aux décors conventionnels, qu’on rafraîchit de temps en temps ou que l’on change, mais qui restent toujours des décors, incapable de vaincre l’individu, il l’a déguisé plus qu’il ne l’a transformé en être social. Il a fait une sorte d’œuvre d’art qu’il tâche de faire prendre au sérieux, plutôt qu’une œuvre réellement morale.

254. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

On a eu l’idée, dans un moment où il venait des idées de bien des sortes et qui toutes n’étaient pas aussi louables, d’établir dans les divers quartiers de Paris des lectures du soir publiques, à l’usage des classes laborieuses, de ceux qui, occupés tout le jour, n’ont qu’une heure ou deux dont ils puissent disposer après leur travail. […] Une lecture bien faite d’un beau morceau d’éloquence ou d’une pièce de théâtre est une sorte de représentation au petit pied, une réduction, à la portée de tous, de l’action oratoire ou de la déclamation dramatique, et qui, tout en les rapprochant du ton habituel, en laisse encore subsister l’effet. […] Ce mode de démonstration appliqué à la littérature suppose tout un art qui se dérobe, et qui n’est au-dessous d’aucune science ni d’aucune supériorité critique, si élevée et si distinguée qu’elle soit ; car il ne s’agit pas ici simplement de se faire petit avec les petits, il faut se faire souple avec les rudes, insinuant avec les robustes, en restant sincère toujours, de cette sincérité qui ne veut que le beau et le bien ; il faut arriver à inoculer une sorte de délicatesse dans le bon sens, en fortifier les parties simples, en rabattre doucement les tendances déclamatoires, plus innées en France qu’on ne le croirait, dégager enfin dans chacun ce je ne sais quoi qui ne demande pas mieux que d’admirer, mais qui n’a jamais trouvé son objet. […] En un mot, échauffer et entretenir le sentiment patriotique en l’éclairant, sans tomber dans le lieu commun national, qui est une autre sorte d’ignorance qui s’infatue et qui s’enivre, ce serait là l’esprit dont je voudrais voir animé cet humble et capital enseignement. […] Souvestre a pris, de plus, le soin d’y noter l’effet que les divers morceaux ont paru produire sur l’auditoire ; on a là une sorte d’échelle dans les impressions populaires, qui ne laisse pas d’être instructive et curieuse.

255. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1853 » pp. 31-55

Il nous conseillait de prendre un avocat « ayant l’oreille des juges », un nom et une parole très peu sonores, une de ces médiocrités dont le néant attire sur ses clients une sorte de miséricorde ; enfin un de ces verbeux qui, doucement, platement, ennuyeusement, soutirent un acquittement comme une aumône. […] C’était une chambre pour ces sortes d’affaires, une chambre dont on était sûr et qui avait fait ses preuves. […] D…, descendant de l’avocat général de Bordeaux, et qui, lui, n’eut pas l’air de nous trouver extraordinairement criminels, et après D…, le juge L…, une sorte d’ahuri qui ressemblait à Leménil prenant un bain de pieds dans Le Chapeau de paille d’Italie, fourré dans l’affaire comme un comique en un imbroglio, et qui avait de lui, dans la pièce où il nous reçut, un portrait en costume de chasse, un des plus extravagants portraits que j’aie vus de ma vie. […] On se promène dans un jardin où il n’y a guère que l’ombre d’une table de pierre, et l’on dîne dans une salle à manger, où l’on vous passe beaucoup de bouteilles de toutes sortes de vins, en face de douze Césars peints sur les murs par un vitrier. […] Sa femme, fine, délicate, nerveuse, avec de beaux grands yeux noirs, semble une sorte de réduction de Mme Roland dont elle a l’exaltation républicaine, mais dans un petit corps plein de grâce parisienne, toutefois de la grâce un peu rêche de la bourgeoise distinguée.

256. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre V. Le génie et la folie »

Si l’on admet ces prémisses, on comprend que la thèse soit facilement prouvée ; car, lorsque l’on a commencé par décrire le génie comme une sorte de folie, il n’est pas difficile plus tard de conclure que le génie et la folie sont identiques en essence. […] Privé de cette preuve, à quelle sorte d’arguments peut-on avoir recours ? […] La preuve par analogie consiste à montrer que dans l’état de lièvre, de délire même, d’exaltation cérébrale, dans toutes sortes d’états nerveux irréguliers et morbides, et enfin à l’agonie, on voit très souvent l’intelligence se déployer d’une manière extraordinaire et inattendue : d’où l’on peut conclure que la maladie amène, dans le cours de son évolution, précisément cette sorte d’état organique d’où dépend le génie. […] Quant aux bizarreries réelles des hommes supérieurs, il faut d’abord s’assurer si elles sont spontanées et naturelles, ou si elles ne sont pas reflet d’une sorte de charlatanisme très-ordinaire chez les grands hommes : « Girodet, dit-on, se levait au milieu de la nuit, faisait allumer des lustres dans son atelier, plaçait sur sa tête un énorme chapeau couvert de bougies, et dans ce costume il peignait des heures entières. » J’ai peine à croire que ce soit là autre chose qu’une plaisanterie : en tout cas, c’est une bizarrerie tellement arrangée et si peu naturelle que je n’y puis voir qu’une mystification du bourgeois.

257. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Et le pire, c’est qu’elle a les deux bras chargés de chaînes, de telle sorte que, cheveux épars et sans voiles, elle est assise à terre, délaissée et désolée, se cachant la face entre les genoux, et elle pleure. […] Nous aurons assez d’occasions d’en étudier les traits et la forme tout originale entre les diverses sortes d’incrédulité et de désespoir. […] » — En adressant une sorte de chant pindarique à un jeune homme vainqueur au ballon (ces sortes de jeux et de victoires ont beaucoup de solennité en Italie), il passe vite de la félicitation triomphante à un retour douloureux : l’antique palestre était une école de gloire ; on courait de l’Alphée et des champs d’Élide à Marathon ; mais ici, qu’est-ce ? […] Cette veine-là nous plaît moins chez Leopardi ; elle nous est d’ailleurs peu accessible, par la difficulté d’entendre ces sortes d’allusions. […] Les meilleures poésies de M. de Musset sont trop sujettes à ces sortes d’incohérences.

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