Et cependant, si on y songeait, cette gloire d’Horace qui arrêtait ou refoulait le mépris était faite par les âmes vulgaires, et c’est même la raison pour laquelle elle avait toujours été si peu discutée… Les âmes vulgaires étaient enchantées de se reconnaître, dans Horace, sous cette expression artistement choisie qui ornait leur vulgarité… Mais que voulez-vous ? […] Cet égoïste, qui n’a songé qu’à être heureux, garde son bonheur pour lui seul.
Évidemment, un homme qui aurait eu une notion plus mâle de la famille n’aurait pas songé à publier ces lettres, qui ne sont pas adressées à son père, et il se serait souvenu davantage qu’il était Sabran, et non Boufflers… Mais ce ne sont pas là nos affaires… Le livre a paru, et c’est une chose charmante ! […] Pour mon compte, je ne connais point, dans tout le xviiie siècle, un sentiment qui ressemble à l’amour de Madame de Sabran pour Boufflers, à cet amour malheureux qui, tout le temps de la durée de ses lettres et de sa vie, ne songe pas une seule fois à se reprendre à l’homme qui était véritablement pour elle le Destin… Les éditeurs de ces Lettres donnent à croire dans leur Notice que Madame de Sabran épousa le chevalier de Boufflers en émigration, mais cette fin de son triste roman ne dut rien changer à la nature d’un amour qui était la plaie immortelle d’un flanc qui saigne et qu’on lèche sans pouvoir la cicatriser, et que dis-je ?
Vous en voyez plusieurs passionnés pour l’étude, et indifférents pour la gloire ; éloignés de cette ostentation, qui est toujours faiblesse ; ne s’apercevant pas même de ce qu’ils sont, ce qui est la vraie modestie ; honorant leurs bienfaiteurs, louant leurs rivaux, assez fiers pour faire du bien à leurs ennemis ; vous en voyez quelques-uns, ornés des grâces, qui, dans le monde, font pardonner les vertus ; mais ce qui fait le caractère du plus grand nombre, ce sont toutes les qualités que donne l’habitude de vivre plus avec les livres qu’avec les hommes : je veux dire des mœurs, les sentiments de la nature ; cette candeur si éloignée de toute espèce d’art ; Cette bonne foi de caractère qui agit d’après les choses, non d’après les conventions, et ne songe jamais à prendre son avantage avec les hommes ; une simplicité qui contraste si bien avec le désir éternel d’occuper de soi, vice des cœurs froids et des âmes vides ; l’ignorance de presque tout, hors des choses utiles et grandes ; une politesse qui quelquefois néglige les dehors, mais qui, au lieu d’être ou un calcul fin d’amour-propre, ou une vanité puérile, ou une fausseté barbare, est tout simplement de l’humanité ; enfin cette tranquillité d’âme, qui, ayant apprécié tout, et n’estimant dans ce songe de la vie que ce qui mérite de l’être, c’est-à-dire, bien peu de choses, ne se passionne pour rien, et se trouve au-dessus des agitations et des faiblesses.
. — Le Songe de Polyphile, trad. (1880). — Hist.
On jouit souvent des avantages d’un bon Livre, sans songer aux qualités qu’il suppose, & aux travaux qu’il a coutés.