Créer un Borgia au xixe siècle, non pas fils de pape comme l’autre Borgia, ce qui serait trop haut et trop loin de nous, trop exceptionnel, presque fabuleux, car cela ne s’est rencontré qu’une fois dans l’histoire, mais un Borgia de niveau avec nous, sur le même terrain social que nous, et le faire travailler, comme dit Vautrin, cela, certes ! […] Dans le roman de Feuillet, il n’y a pas la moindre invention, la moindre combinaison, le moindre détail original, le moindre rendu supérieur, la moindre volonté révélée par un effort quelconque de donner de l’accent à cette vulgarité d’un mariage dans le monde, — dans ce monde à la hauteur sociale duquel Octave Feuillet s’est placé.
Et d’abord, il n’est pas inutile de passer en revue quelques-unes des catégories innombrables auxquelles ils appartiennent, car, selon leur rang social, leur degré d’affinement ou de rusticité, ils offrent à l’écrivain des ressources ou des difficultés particulières, ils ont des qualités ou des défauts littéraires qui influent naturellement sur le choix du sujet. […] En faisant vivre dans le roman quelques-uns de ses habitants, on a l’impression réconfortante que l’on peint un état social qui a peu varié, qui se modifie lentement, et que les scènes qui sont vraies aujourd’hui resteront longtemps vraisemblables.
On ne connaît bien une doctrine philosophique ou sociale que lorsqu’on voit le dernier terme auquel elle a abouti : ainsi l’on ne connaît bien une formule littéraire que lorsqu’on a lu les ouvrages auxquels elle a servi de patron. […] Ils se disent adieu dans une dernière poignée de mains, tandis que la sœur aînée, après avoir un moment essayé de forcer sa nature en cherchant auprès d’un homme du monde et d’un artiste les bénéfices et les élégances du vice entretenu, se lasse des contraintes qu’il lui faut s’imposer dans une vie sociale plus relevée, revient aux amans de sa classe et retourne avec joie au ruisseau qui, bien décidément, est sa vraie patrie.
Enfin, et c’est là le sens de la légère étude que je voudrais faire, il est à mes yeux l’un des plus frappants exemples du courage et de l’effort qu’il a fallu à un homme entraîné dans sa jeunesse par la fureur de la dissipation et la fièvre du plaisir, pour se ravoir à temps et ressaisir possession de lui, pour devenir un esprit sérieux, conséquent, philosophique, un citoyen convaincu, ferme et inflexible, ayant réfléchi à toutes les grandes questions sociales et s’étant formé sur toutes une opinion radicale sans doute et absolue, mais qui, j’en suis certain, se rapproche fort de ce qui prévaudra dans l’avenir.
Or, en même temps, la condition des gens de lettres se relève ; la considération dont ils jouissent les introduit et les enferme dans le monde ; leur champ d’observation se trouve par là singulièrement restreint, et le rideau des bienséances sociales s’interpose entre leur œil et la nature.