Il le savait et le voulait : « Je suis, disait-il, un docteur des sciences sociales ». […] Chacun arrive avec la masse de réflexions accumulées par toute une vie ; et toutes ces masses opposées et liées les unes aux autres composent par leur union et leur contraste l’encyclopédie du monde social. […] Les chartes, les lois et les constitutions montrent les pièces de la machine sociale, et non le ressort de l’action morale ; on y voit les cadres dans lesquels les hommes agissaient ; c’est le squelette de l’histoire, ce n’en est pas l’âme. […] La subite détente de la passion, la roideur impétueuse de la volonté meurtrière démontaient la grande machine sociale ; encore sous Henri IV elles tuaient quatre mille gentilshommes par les duels. […] Que tout ton plaisir et tout ton délassement soient de passer d’une action sociale à une action sociale, avec la pensée de Dieu ».
Nous n’avons pas dit abaissement social, parce qu’il nous importe peu que l’homme dont on décrit les passions soit un prince ou un banquier retiré dans le faubourg Saint-Marceau comme le père Goriot. […] En ces temps de rénovation sociale et de si dures épreuves, d’autres sujets nous appellent, et il faut se hausser à eux. […] Mais sa thèse sociale n’existe plus. […] Visant avant tout à la popularité, il la recherchait par des moyens assez grossiers ; en paraissant poursuivre le redressement des abus, il se complaisait, en réalité, à étaler des plaies sociales incurables. […] Nous nous défions toujours un peu des philanthropes opulents dont les écrits, enrichissant leur auteur, augmentent en réalité ces inégalités sociales qu’ils sont pourtant censés vouloir corriger.
Tu ne saurais pas aujourd’hui que les plus belles philosophies n’ont que des jours d’explosion et des années de fumée, fumée à travers laquelle on ne reconnaît plus rien que des décombres ; que les peuples, comme des banqueroutiers de la vérité, ne tiennent jamais ce qu’ils promettent ; que les princes les meilleurs ne recueillent que l’assassinat, comme Henri IV, ou le martyre, comme Louis XVI ; que les réformateurs les plus bienfaisants ont pour ennemis les utopistes les plus absurdes ; que les gouvernements héréditaires subissent les dérisions de la nature, qui ne sanctionne pas toujours l’hérédité du génie ou des vertus ; que les gouvernements parlementaires subissent la domination de l’intrigue, la fascination du talent, l’aristocratie de l’avocat, qui prête sa voix à toutes les causes pourvu que l’on applaudisse, et qui est aux assemblées ce que la caste militaire est aux despotes, pourvu qu’ils les payent en grades et en gloire ; que les gouvernements absolus font porter à tous la responsabilité des fautes d’une seule tête ; que les gouvernements à trois pouvoirs sont souvent la lutte de trois factions organisées qui consument le temps des peuples en vaines querelles, qui n’ont d’autre mérite que d’empêcher les grands maux, mais d’empêcher aussi les grandes améliorations, et qui finissent par des Gracques ou par des Césars, ces héritiers naturels des anarchies ou des servitudes ; que les républiques sont la convocation du peuple entier au jour d’écroulement de toute chose pour tout soutenir, le tocsin du salut commun dans l’incendie des révolutions qui menace de consumer l’édifice social ; mais que si ces républiques sauvent tout, elles ne fondent rien, à moins d’une lumière qui n’éclaire pas souvent le fond des masses, d’une capacité qui manque encore au peuple, et d’une vertu publique qui manque plus encore aux classes gouvernementales. […] Et voilà pourquoi je changerais encore sans hésitation si je venais à découvrir que mes opinions actuelles sont des erreurs, et qu’il y a des routes nouvellement découvertes dans lesquelles la marche est plus sûre, le sol plus solide et les vertus sociales plus mûres et plus abondantes pour l’humanité. […] Courir aux succès de tribune au lieu des grands résultats d’opinion, jeter quelques imprécations retentissantes au parti du gouvernement, embarrasser les ministres dans toutes les questions, se coaliser avec tous les partis de la guerre ou de l’anarchie dans la chambre ; se faire applaudir par les factions au lieu de se faire estimer par la nation propriétaire et conservatrice ; ébranler, hors de saison, un gouvernement mal assis, mais qui couvrait momentanément au moins les intérêts les plus sacrés de l’ordre et de la paix ; menacer sans cesse de faire écrouler cette tente tricolore sur la tête de ceux qui s’y étaient abrités ; jouer le rôle d’agitateur au nom des royalistes conservateurs, de tribun populaire au nom des aristocraties, de provocateur de l’Europe au nom d’un pays si intéressé à la paix ; se coaliser tour à tour avec tous les éléments de perturbation qui fermentaient dans la chambre et dans la rue ; harceler le pilote au milieu des écueils et prendre ainsi la responsabilité des naufrages aux yeux d’un pays qui voulait à tout prix être sauvé ; former des alliances avec tel ministre ambitieux, pour l’aider à donner l’assaut à tel autre ministre ; renverser en commun un ministère, sans vouloir soutenir l’autre, et recommencer le lendemain avec tous les assaillants le même jeu contre le cabinet qu’on avait inauguré la veille ; être, en un mot, un instrument de désorganisation perpétuelle, se prêtant à tous les rivaux de pouvoir pour renverser leurs concurrents et triompher subalternement sur des décombres de gouvernement ; danger pour tous, secours pour personne ; condottiere de tribune toujours prêt à l’assaut, mais infidèle à la victoire ; faire du parti légitimiste un appoint de toutes les minorités, même de la minorité démagogique dans le parlement : voilà, selon moi, la direction ou plutôt voilà l’aberration imprimée à ce parti, moelle de la France, qui réduisait les royalistes à ce triste rôle d’être à la fois haïs par la démocratie pour leur supériorité sociale, haïs par les conservateurs industriels pour leur action subversive de tout gouvernement, haïs par les prolétaires honnêtes pour leur participation à tous les désordres qui tuent le travail et tarissent la vie avec le salaire.
Les rimes viennent selon l’idée, et leurs sonorités apparentées de près ou de loin, doivent apporter modifications à l’idée générale, la compléter, ou l’atténuer : c’est la rime logique… Il entre en ma théorie sociologique, que l’Art soit décentralisé — comme économiquement la France reprenne en un avenir scientifiquement social, sa décentralisation par provinces. […] L’influence du barde n’a pas été d’ailleurs uniquement littéraire ; elle a été aussi nettement sociale, dans un sens national et humain que la politique donne rarement à ce mot. […] Ceux qui n’auront exprimé que leurs joies ou leurs souffrances personnelles, avec l’unique souci de l’esthétique, vivront pour les artistes, ayant été eux-mêmes les artistes de la poésie ; les autres, ceux qui auront chanté la mystérieuse éclosion sociale des temps futurs, en seront peut-être les poètes. […] Je crois enfin que, au moins pour un temps, la poésie ne sera guère en faveur qu’auprès d’un petit nombre de personnes, la question sociale primant aujourd’hui toutes choses.
Le bourgeois de chez nous est un homme d’ordre, de mœurs régulières ; rangé, méthodique, qui a le souci de ses intérêts, de son bon renom et de sa situation sociale. […] Gouvernement, forme sociale, tout semble remis en question. […] Elles ont un petit ressort, un joli petit ressort en diamant, fin comme la montre d’un petit-maître : le gouverneur ou la gouvernante fait jouer le ressort, et vous voyez aussitôt les lèvres s’ouvrir avec le sourire le plus gracieux, une charmante cascatelle de paroles mielleuses sort avec le plus doux murmure, et toutes les convenances sociales, pareilles à des nymphes légères, se mettent aussitôt à dansotter sur la pointe du pied autour de la fontaine merveilleuse. […] François Coppée remarque que, en littérature, on ne s’occupe que des privilégiés : ce sont toujours des gens qui occupent une situation sociale élevée. […] Au xixe siècle, il en est à peu près de même, et on ne songe pas qu’il y a une foule de gens qui sont peut-être de petites gens, mais qui cependant ont un cœur, qui sont capables de souffrir comme d’autres, et que leurs souffrances peut-être ne sont naturellement ni moins douloureuses, ni, d’une façon générale, moins intéressantes, moins pleines d’humanité que celles des gens qui sont nés dans une condition sociale plus élevée.