La mission de Voltaire, à ce moment, était de naturaliser en France les idées anglaises, les principes philosophiques qu’il avait puisés dans la lecture de Locke, dans la société de Bolingbroke ; mais surtout, ayant apprécié la solidité et l’immensité de la découverte de Newton, et rougissant de voir la France encore amusée à de vains systèmes, tandis que la pleine lumière régnait ailleurs, il s’attacha à propager la vraie doctrine de la connaissance du monde, à laquelle il mêlait des idées de déisme philosophique. […] En lisant ces lettres de Mme de Staal à Mme Du Deffand, on ne peut s’empêcher pourtant de remarquer, au milieu de cette société la plus civilisée et la plus douce en apparence, de quelle nature triste est cette gaieté dénigrante de deux femmes qui s’ennuient, quel vide intellectuel et moral suppose une telle médisance plus désœuvrée encore que méchante, quelle sécheresse amère et stérile ! […] Mais il a raison quand il ajoute : Tout ce qui occupe la société était de son ressort, hors la médisance. […] Elle y rencontra, dans la société de la marquise de Boufflers, un homme de trente ans, fin, agréable, spirituel, bien que d’un esprit assez sec et aride, connu seulement alors par une Épître à Chloé, assez jolie pièce dans le genre sensuel ; c’était M. de Saint-Lambert. […] Les conséquences de cette liaison nouvelle sont assez connues ; il s’ensuivit l’aventure à demi grotesque, indécente et funeste, qui occupa tant la société d’alors, et qui amena la mort de Mme du Châtelet, à Lunéville, six jours après son accouchement, le 10 septembre 1749.
Chez Vauvenargues, il n’y a aucun désir de faire effet, aucune arrière-pensée de représailles contre la société mise en opposition avec la nature, aucun parti pris d’aucun genre. […] Si l’intérêt propre y domine, j’ose dire que cela est non seulement selon la nature, mais aussi selon la justice, pourvu que personne ne souffre de cet amour-propre ou que la société y perde moins qu’elle n’y gagne. […] Il y pose comme devoir et comme règle le respect aux conventions fondamentales de la société, aux lois (même imparfaites), la subordination et le sacrifice de l’intérêt particulier à l’intérêt de tous. […] Il a peu, ou plutôt il n’a pas le sentiment des beautés de la nature : dans la nature il ne considère volontiers que l’homme et la société ; Vauvenargues portait en lui le besoin d’être un grand homme historiquement. […] Ce n’est pas à dire que Vauvenargues fût pour le maintien des abus ni pour l’immobilité de la société : il veut tout ce qui retrempe une nation, tout ce qui corrige utilement le vice de la décadence.
Il n’y a, au fond, dans toute cette histoire, reprise en sous-œuvre par du Méril, que la vieille histoire connue, qui peut s’écrire en quelques mots et qu’il a mise en cinq cents pages, — si brillantes de talent, du reste, qu’il semble ne pas avoir bavardé, — de la comédie, sortant partout de la danse, sa plus profonde racine ; dérivant, en peu de temps, du langage mimique au langage religieux et processionnel ; s’imprégnant plus tard de politique dans des sociétés fortement politiques comme les sociétés grecques, et vivant ainsi jusqu’au moment où l’imagination reconquiert ses droits et crée une autre comédie, la comédie désintéressée de tout ce qui n’est pas l’observation de la nature humaine… Et, vous le voyez ! […] Mais l’historien impatient de naître, l’historien sortait vite de ces généralités fondamentales, et il recherchait alors les origines de la Comédie, non plus dans une des quatre manifestations nécessaires de l’esprit humain, mais dans les contingences et les différences des sociétés et des civilisations. […] Ceux qui le lurent furent surtout saisis, comme d’une charmante nouveauté, de la manière dont du Méril avait envisagé, pénétré et même peint la société chinoise, et ceux-là qui aiment toutes les formes de l’histoire convinrent qu’il avait mis la main sur la plus difficile et la plus piquante. Et, de fait, quoi de plus piquant que de voir les sociétés et de juger l’homme à travers les deux ridicules qui font la comédie, — le ridicule éternel et le ridicule de chaque temps ? […] J’ai parlé de l’enlevante et amusante peinture de la société et des mœurs chinoises, au premier volume de cette histoire, mais je crois supérieure encore la peinture de la société athénienne après la mort de Socrate, lors de l’invasion chez les Grecs de la Comédie nouvelle, dont Ménandre fut le poète comique, Ménandre, si compromis par les éloges des grammairiens.
Dans cette lutte que madame de Girardin eut ou crut avoir à soutenir contre la société, elle fut aisément et promptement victorieuse. […] si la société ressemble à cette femme, qu’elle l’imite jusqu’au bout ! […] Ce qui en résulterait, dans la vie et dans la société réelles, je vais vous le dire. […] Quant à la société officielle, je crois que M. […] Déclarant la guerre à toutes les maladies morales qui avaient conduit la société au bord de l’abîme, M.
La société le froisse : il se rejette vers la nature. Il la regarde et l’interprète selon le besoin de son cœur ; il y réalise son rêve d’ordre, d’harmonie, de bonté universelle, que la société avait trompé. […] Ignorants et pauvres, loin de toute civilisation, sans contact avec la société, affranchis des usages tyranniques, des préjugés corrupteurs, des faux besoins, des vaines curiosités, ils sont heureux et vertueux. La société les sépare : Virginie est appelée en France par une parente riche, donc égoïste.