Il est excellent dans son ordre et d’un singulier à propos ; il vient heureusement en aide à ce sentiment de justesse et de perfection qui caractérise la belle heure de Louis XIV ; il en est le plus puissant organe, le plus direct et le plus accrédité en son genre ; il est, on peut le dire, conseiller d’État dans l’ordre poétique, tant il contribue efficacement et avec suite à la beauté solide et sensée du grand siècle. […] — Retiré des affaires et vivant dans sa maison du faubourg Saint-Jacques, près des collèges, pour y mieux vaquer à l’éducation de ses enfants, Perrault fit un jour le poëme du Siècle de Louis-le-Grand, et il le lut dans une séance publique de l’Académie, assemblée exprès pour célébrer la convalescence du roi après la fameuse opération (27 janvier 1687). […] Celui-ci, présent à la séance, ne fut point charmé du tour et fut choqué du fond ; il se scandalisa des éloges que Perrault décernait à son siècle au préjudice de l’Antiquité ; il éclata avec colère en se levant, et depuis lors il ne perdit aucune occasion de piquer d’épigrammes celui qu’il avait surpris en flagrant délit de poésie médiocre, mais qui ne lui était inférieur que par cet endroit. […] Mais Perrault, tout en contant pour les enfants, sait bien que ces enfants seront demain ou après demain des rationalistes ; il est du pays et du siècle de Descartes. […] Il ne s’agit point d’aller refaire en notre siècle les enfants de la légende dorée et du moyen âge.
De son siècle, de l’esprit rationaliste et scientifique qui prévalait alors, il tient son goût de vérité exacte, son observation précise et serrée, sa curieuse recherche et sa sûre connaissance de la vie morale et des passions humaines. […] Enfin, son originale propriété, l’inexplicable fond de son individualité, c’est, dans une race, dans un siècle peu poétique, la puissante expansion de son tempérament poétique ; c’est cette souplesse de l’âme universellement impressionnable, et capable d’absorber, d’amalgamer et de fondre toutes les autres influences. […] Patru suivait l’instinct du siècle quand, ne voyant que la « vérité », et ne considérant la fable que comme un appareil destiné à enregistrer les résultats d’une étude expérimentale de l’homme et de la vie, il conseillait à La Fontaine d’écrire en prose. […] Nombre de ces petits poètes, et les meilleurs, vivent dans les plus libres sociétés du siècle. […] Rien ne compense et ne contrepèse chez les derniers poètes du grand siècle les navrantes désillusions de l’égoïsme voluptueux : plus tard, le dévouement à l’humanité, la bienfaisance, la recherche du progrès social apporteront au sensualisme un principe de joie et de sérénité, aideront l’homme à se reprendre, à se relever par l’action.
Il brisera les formes trop arrêtées, trop fixes, qui ne se laissent plus manier par la pensée de l’artiste, ces habitudes tyranniques de composition et de style qui filtrent pour ainsi dire l’inspiration et éliminent l’originalité : en brisant les genres, les règles, le goût, la langue, le vers, il remettait la littérature dans une heureuse indétermination, dans laquelle le génie des artistes et l’esprit du siècle chercheraient librement les lois d’une reconstitution des genres, des règles, du goût, de la langue, du vers. […] J’ai signalé déjà comment la Révolution avait enlevé aux salons, momentanément fermés, la souveraine autorité qu’ils exerçaient depuis près de deux siècles sur le goût et le style. […] Ils le furent aussi, par opposition aux disciples du xviiie siècle, qui, retenant le goût de Voltaire ou de Condorcet, en professaient les idées ; comme le même siècle avait produit Mérope et le Dictionnaire philosophique, on le haïssait ou l’aimait en bloc : les libéraux se croyaient tenus d’être classiques, et les romantiques chantaient le trône et l’autel. […] Il affirmait que la raison d’être, l’essence du romantisme, c’était d’être la poésie, dont la littérature française s’était déshabituée au siècle précédent. […] Il y a un fond de vérité dans ce qu’ont dit Vigny (Servitude militaire, ch. 1) et Musset (Confessions d’un enfant du siècle).
Anselme était né de parents nobles et riches, d’un père homme du siècle et livré à ses passions, d’une mère bonne et pieuse, de laquelle il tint beaucoup. […] L’âge des passions et des séductions le prenait insensiblement ; sa mère mourut, et avec, elle il perdit ce qui alors le retenait le plus : « Elle morte, dit le biographe primitif, tout aussitôt le vaisseau de son cœur, comme s’il avait perdu son ancre, se laissa aller presque entièrement au courant du siècle. » Mais Dieu qui avait sur lui des desseins, de peur qu’il ne s’abandonnât à une paix mortelle et trompeuse, lui suscita une guerre intestine pleine de troubles. […] Lorsqu’il eut été élu malgré lui archevêque de Cantorbéry le 6 mars 1093, pendant un voyage qu’il faisait en Angleterre (l’Angleterre alors et la Normandie n’étaient presque qu’un même pays depuis la conquête), Anselme ne trouva point en lui toutes les qualités et les ressources nécessaires à sa position nouvelle ; en gardant toutes ses vertus, il ne sut point les armer suffisamment pour les conflits et les combats du siècle ; cette haute dignité ecclésiastique de primat d’Angleterre, à laquelle il dut un surcroît de célébrité, un mélange d’éclat et de disgrâce, deux exils, des retours triomphants et bénis, et finalement sa canonisation peut-être, cette haute dignité nous le montre plutôt inférieur à lui-même et dépaysé dans les affaires, craintif, obstiné et indécis, débile sinon d’âme, du moins de caractère. […] Sans nulle expérience de la politique, animé d’une foi profonde, jamais il n’avait eu à manœuvrer dans le siècle. […] Il portera au milieu du siècle quelque chose du savant et du solitaire.
Leur éloquence même, bien loin d’être simple, uniforme, a toujours porté l’empreinte de la différence de leur caractère personnel, de celle des mœurs générales & de l’esprit dominant de leur siècle. S’ils ont mis dans leurs sermons plus de naturel & de simplicité qu’on n’en trouve dans les nôtres, c’est que, le siècle où ils vivoient étant moins difficile que celui-ci sur l’article des bienséances, ils ont eu moins de ménagemens à garder dans la peinture des vices mêmes qu’ils reprennent. […] Le célèbre La Rue, le prédicateur de son siècle qui débitoit le mieux, le vrai Baron de la chaire, si on osoit le dire, étoit d’avis de l’affranchir de cet esclavage. […] Il avance qu’elle ne doit point avoir lieu dans un siècle où l’ignorance est si profonde en matière de religion, qu’à peine les gens du monde en possèdent-ils les premiers élémens. […] Il représente l’obligation de confondre l’incrédulité & l’esprit philosophique du siècle, de ne plus supposer les auditeurs instruits ou persuadés.