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454. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXII. Des éloges des hommes illustres du dix-septième siècle, par Charles Perrault. »

Perrault que l’on ne connaîtrait point, si on ne le connaissait que par l’humeur, les épigrammes et la prose de Boileau, est un des hommes du siècle de Louis XIV qui contribua le plus à honorer et à faire respecter les lettres ; au lieu de les avilir par la satire, il les soutint par son crédit : ses lumières et sa probité l’avaient rendu l’ami de Colbert. […] Quoi qu’il en soit, Charles Perrault était lié avec un parent de Colbert, qui avait occupé plusieurs places importantes, mais dont les places ne faisaient pas tout le mérite : il avait encore celui d’aimer les arts avec passion, de s’intéresser à leurs progrès, comme un courtisan s’intéresse à sa fortune ; et surtout il avait l’enthousiasme de son siècle et de sa nation. […] Il faut avouer que Godeau, évêque de Vence, et Benserade, et Voiture, et Sarrazin, et Coëffeteau et Santeuil, ne sont pas tout à fait des grands hommes de la même espèce ; mais il y en a d’autres, tels que Du Cange, si justement fameux par son glossaire ; Sirmond par son travail sur les conciles de France et sur les capitulaires de Charles-le-Chauve ; Pétau par sa chronologie ; Joseph Scaliger par l’érudition la plus profonde sur l’antiquité ; les deux frères Pithou, et Pierre Dupuy, garde de la bibliothèque du roi, par la vaste étendue de leurs connaissances sur notre histoire ; tous hommes célèbres dans leur siècle, et qui ne sont peut-être pas assez estimés dans le nôtre.

455. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Une force irrésistible fait cheminer à travers les siècles Ahasvérus, l’homme éternel. […] J’ai vécu assez de siècles de siècles… J’ai froid… Je suis las… J’ai soif. […] C’est ce dernier reproche que doit lui faire un siècle ivre d’orgueil comme le nôtre. Nous verrons à quelles hauteurs cet orgueil conduira le siècle. […] Les siècles prennent leçon des siècles ; ou du moins, ils se posent les uns aux autres, sous des formes diverses, les plus graves questions, et se lèguent, transformé mais jamais diminué, leur inépuisable tourment.

456. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

Mais combien on voit néanmoins dans le même sujet la différence des siècles et des mœurs ! […] Ils ont transporté sur leur théâtre tout ce qu’il y avait de beau dans l’imagination des poètes, dans les caractères antiques, dans le culte du paganisme ; et le siècle de Périclès étant beaucoup plus avancé en philosophie que le siècle d’Homère, les pièces de théâtre ont aussi dans ce genre acquis plus de profondeur. […] On voit dans ces trois auteurs et leur talent personnel, et le développement de leur siècle ; mais aucun d’eux n’atteint à la peinture déchirante et mélancolique que les tragiques anglais, que les écrivains modernes nous ont donnée de la douleur ; aucun d’eux ne présente une philosophie sensible, aussi profondément analogue aux souffrances de l’âme.

457. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Tallemant des Réaux »

Eh bien, comment donc se fait-il que Paulin Paris ait laissé sa sagacité esthétique se prendre dans cette toile d’araignée qui a ramassé au passage tous les scandales bourdonnants et les mauvais propos d’un siècle ? […] Quand on lit Tallemant et quand on est, comme lui, un homme de lettres, on se coule dans sa peau par la pensée et on trouve le xviie  siècle un bien grand siècle, parce que les plus nobles compagnies voient l’homme de lettres à côté des seigneurs et des hommes les plus élégants de la cour. […] Il se pourrait bien, car l’illusion s’élève parfois des propres flambeaux de l’histoire, et quelque chose d’académique et de drapé dans ce siècle, qui eut toutes les splendeurs, même celle de l’hypocrisie, peut nous empêcher d’apercevoir ce qu’il eut aussi d’immoral et de fangeux. Or, justement, n’était-ce pas là ce qu’un moraliste et un penseur, touchant à ce siècle de Louis XIV, eût dû nous montrer effrayant et visible dans ces récits narquois et consternants pour qui comprend des Réaux ?

458. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Ch.-L. Livet »

… De même il croit de très bonne foi que, dans un pays qui avait dans sa tradition des siècles de chevalerie française, besoin était, à l’époque de Mazarin et de Richelieu, d’importer des pays étrangers de la galanterie et de la délicatesse, comme il était besoin aussi d’inventer une langue qui avait eu pour pères Rabelais, Montaigne et Régnier ! […] Malgré la révérence que Livet a « pour la justice des siècles », il s’est risqué à louer Cotin ; mais il a fait comme cet homme, bien touchant de civilité, qui, pour se moucher et amortir le bruit trop fort de sa trompette, se tournait toujours discrètement et décemment du côté du mur. Ainsi Conrart ; mais pour Conrart il a été moins troublé et moins intimidé par la justice des siècles. […] Torpilles caressantes de la langue qu’elles ont engourdie, elles l’alanguissent sous prétexte de tendresse, elles la pâlissent sous prétexte de distinction, et si elles avaient pu lui soutirer tout le sang de ses veines, à cette langue généreuse qui venait de bouillonner avec les passions de deux siècles, elles l’eussent remplacé comme on remplace le sang des morts, par des infusions de parfums.

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