Au lieu de s’épanouir, elle se resserre ; nous la sentons se contracter sous la douleur, comme nous la sentons se dilater sous le plaisir. […] Mais ce premier mouvement ne tarde pas à prendre un caractère plus décidé ; la sensibilité se resserre comme pour fermer passage à la douleur ; elle fait plus, elle se détourne de la cause, elle la fuit, on la sent qui se replie en elle-même ; c’est la concentration opposée à l’expansion. […] Sensibilité signifie, je crois, la capacité de sentir, le moi sensible. […] Au premier instant il disait comme le vulgaire, que l’homme ayant mangé et ayant la faculté de digérer, digère ; au premier instant vous disiez, comme le vulgaire, que l’homme ayant senti et ayant la faculté d’apercevoir, aperçoit.
Il passe ici pour un libre penseur, et ce qui est pis, à mon sens, pour un homme dont le cœur ne sent pas ce qu’il dit dans ses poëmes à la louange de la vertu et de la gloire. […] C’est là que je t’ai sentie, moi, sur la pointe de cette haute falaise, dont les pins, battus il leurs sommets par la brise, forment un seul murmure avec les vagues lointaines. Oui, pendant que debout je regardais ébloui, la tête nue, et que je lançais au loin mon âme sur la terre, l’Océan, les airs, maître de toutes choses par la puissance du plus ardent amour, là je t’ai sentie, ô liberté ! […] Dans le désordre même, on y sent plus d’apprêt que d’enthousiasme. […] On le sent, aux cris de douleur qui lui échappent sur les vices inhumains mêlés à l’idolâtrie des Hindous, et sur tous les maux dont il faudrait les guérir pour les élever jusqu’à la foi.
L’abbé Le Dieu, dans cet ouvrage, se soigne, et il écrit comme en vue du public ; son style a de la facilité, du développement, des parties heureuses : on sent l’homme qui a vécu avec Bossuet et qui en parle dignement, avec admiration, avec émotion. […] Il était à cet âge dont parle Cicéron, et où l’orateur romain a dit que son éloquence elle-même se sentait blanchir (« quum ipsa oratio jam nostra canesceret ») ; il avait hâte d’en employer toute la maturité et la douceur pour la famille chrétienne qui lui avait été donnée. […] Bossuet avait tous les genres d’éloquence ; et cette facilité merveilleuse d’une parole née de source et si nourrie d’étude et de doctrine, les occasions de toutes sortes qu’il eut de bonne heure dans les emplois du sacerdoce pour appliquer ces dons de nature et en distribuer les fruits, expliquent jusqu’à un certain point cette satisfaction tranquille, cette stabilité précoce d’un esprit qui sent qu’il n’a qu’à continuer et suivre sa marche droite, et qu’il est dans le chemin qui mène à Jérusalem. […] Bossuet n’a rien d’un homme de lettres dans le sens ordinaire de ce mot ; ayant de bonne heure connu ces triomphes de la parole qui ne laissent rien à désirer en satisfactions immédiates et personnelles (s’il avait été disposé à les savourer), s’étant dès sa jeunesse senti de niveau avec la haute renommée qui lui était due, naturellement modéré, et avec, cela habitué à tout considérer du degré de l’autel, on ne le voit rechercher en rien les occasions de se produire par la plume et de briller.
Il faut l’entendre, au sortir de ce beau fleuve romain et cicéronien où il vient de s’abreuver pour la centième fois, célébrer cette ampleur et cette finesse de parole, cette transparence lumineuse, cette riche abondance de mots, et cet art savant qui les épand si nombreux, si faciles sans qu’il y en ait jamais un d’inutile ou de perdu : Quand on se laisse simplement entraîner, dit-il, par la lecture, c’est une musique délicieuse qui vous flatte : l’esprit sent la justesse des accords sans se rendre un compte exact de son plaisir, et ne fait qu’apercevoir instinctivement une nuance délicate de la pensée sous chacune des expressions dont la phrase s’embellit. […] voilà celui sur lequel M. de Sacy ne tarit pas, dont il sent tous les mérites, et qu’il embrasse sans cesse. […] Mais celui qui ne sentirait pas tout ce qu’il y a de rare, de foncièrement salubre et de moralement exquis dans les bonnes pages que nous indiquons, ne s’expliquerait pas l’estime universelle qu’il inspire. […] Il rentra chez lui après la séance et se sentit indisposé ; il le fut pendant quelques jours.
Scherer est un des nobles types des esprits sérieux qui croient à une vérité absolue, qui, même lorsqu’ils ont le sourire fin, ne l’ont pas léger et moqueur ; et quand il ne nous le déclarerait pas, on sent, en le lisant, qu’il signerait volontiers cette pensée du théosophe Saint-Martin : « La vie nous a été donnée pour que chacune des minutes dont elle se compose soit échangée contre une parcelle de la vérité. » Voilà une vocation. […] Si l’on y gagne de connaître un peu mieux le personnage par des détails particuliers, on y perd en ne pouvant le plus souvent exprimer ce qu’on sent avec une entière netteté et franchise. […] Il sentira bientôt qu’il faut laisser aux lieux d’où il vient toute cette phraséologie scientifique et théologique qui s’adresse plus aux lecteurs de Munich ou de Tubingen qu’à nous. […] Il est érudit, il sait, beaucoup, il a beaucoup lu et dévoré ; mais tout cela est à une fin déterminée d’avance ; il tire à lui les textes et les détourne ; ses étymologies sont dérisoires et sentent le calembour. « Il a de l’érudition, il n’a point de science : on ferait une longue liste de ses bévues. » M.