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889. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

Cela fait honneur aux deux, il se cache toujours un bon sentiment dans les âmes qui ont aimé ! […] Ici, le vrai sentiment de M. de Marcellus se dévoile, comme à son insu, dans un jugement de trois lignes, en marge dans ces lettres. […] J’avais un sentiment d’admiration et de pitié pour ces belles îles de l’Archipel, où fleurissent en hommes et en femmes la plus charmante jeunesse du monde ; mais je n’avais aucune haine pour Mahomet et pour ce peuple religieux, pasteur et guerrier, qui était venu à son temps balayer des vallées de Bithynie la corruption byzantine, et prêcher l’unité de Dieu, ce dogme des Arabes, à la place des superstitions ingénieuses de l’Église grecque qui touchent de si près à l’idolâtrie. […] Cette Médée, redoutable patronne de notre village, fait encore trembler nos femmes du peuple sous la terreur de ses noirs enchantements ; voyons comment va s’y prendre notre maître pour nous inspirer envers elle des sentiments plus doux. […] » Puis, se tournant vers moi, dit M. de Marcellus, il ajoute : « Les sentiments sont si naturels, le sens si clair, que celui de nous qui n’a pas appris le grec en naissant n’a nul besoin d’interprète.

890. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

Ils nous refuseraient volontiers le droit dont ils usent, et ne consentiraient point à dire qu’après tout chaque peuple a des sentiments qui lui sont propres, sa manière de concevoir le beau et de reconnaître la nature. […] Tel est du moins le sentiment des rédacteurs de la revue d’Édimbourg, qui déclarent que ces sorcières barbues sont grotesques, ridicules, intolérables4. […] Mais comme ils sont à Londres toujours réunis en une même enceinte, les plus nombreux et les plus robustes, qui ne sont nulle part les plus éclairés, imposent leurs opinions ou leurs sentiments à l’assemblée entière et c’est leur goût qui triomphe. […] Ce bal, où Henri VIII accable de son amour l’une de ses futures victimes, et celui où Roméo et Juliette conçoivent l’un pour l’autre les tendres sentiments qui les conduiront ensemble au tombeau, sont des inventions éminemment tragiques qu’on ne peut plus imiter, mais qui honorent le génie de Shakespeare. […] Emporté dans ses désirs, violent dans ses projets, implacable dans ses haines, il régit tous les sentiments du cœur qu’il possède, en occupe tous les replis et n’y laisse aucun vide.

891. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1877 » pp. 308-348

Au collège quelques-uns des camarades de mon frère, en auraient mangé à belles dents, et ces camarades à la vilaine gueule, jaloux de sa jolie figure, ont tâché, plusieurs fois, de le défigurer, et cela sans qu’il y eût presque de rapport, de contact avec eux, mais par ce sentiment enragé des démocraties contre les aristocraties, de quelque nature qu’elles soient. […] Zola, qui a amené la conversation sur ce sujet, un peu à propos de son nouveau livre, déclare que l’amour n’est pas un sentiment particulier, qu’il ne prend pas les êtres aussi absolument qu’on le peint, que les phénomènes qu’on y rencontre, se retrouvent dans l’amitié, dans le patriotisme, et que l’intensité grande de ce sentiment n’est amenée que par la perspective de la copulation. Tourguéneff soutient, lui, que ça n’est pas… Il prétend que l’amour est un sentiment qui a une couleur toute particulière, et que Zola fera fausse route, s’il ne veut pas admettre cette couleur, cette chose qualitative… Il affirme que l’amour produit chez l’homme, un effet que ne produit aucun autre sentiment… que c’est chez l’être véritablement amoureux, comme si on retranchait sa personne… Il parle d’une pesanteur au cœur qui n’a rien d’humain… Il parle des yeux de la première femme qu’il a aimée comme d’une chose tout à fait immatérielle… et qui n’a rien à faire avec la matérialité. […] J’ai comme le sentiment d’un sorbet à la fraise que boiraient mes yeux. […] Vendredi 28 décembre Hier, chez Bing, le marchand de japonaiseries, je voyais une longue femme, très pâle, empaquetée dans un water-proof interminable, tout remuer, tout déplacer, et de temps en temps, mettre un objet par terre en disant : « Ce sera pour ma sœur. » Je ne reconnaissais pas la femme, mais j’avais le sentiment que c’était une femme connue de moi et du public.

892. (1913) La Fontaine « II. Son caractère. »

Dans le Voyage en Limousin, écrivant à Mlle de La Fontaine, il dira : « Cette maison était agréable, mais il y avait un peu trop d’enfants, et vous savez quels sont mes sentiments à l’égard de ce petit peuple. » Et je trouve cela un peu dur. […] Je vais vous donner de petits exemples de cette manière charmante dont La Fontaine parle aux femmes et qui est révélatrice d’une absence complète de sentiments profonds. […] Donc, un homme qui n’a pas une sensibilité très étendue et qui n’a connu ni l’amour de la vie de famille, ni l’amour de la vie domestique, ce qui, je l’ai marqué, n’est pas tout à fait la même chose, ni l’amour des enfants, ni, j’aurais pu ajouter, le sentiment patriotique, qui est absolument inconnu à La Fontaine, malgré certaine boutade contre les Hollandais, à laquelle nous ne nous arrêterons pas. […] C’est de ce ton-là que La Fontaine a parlé cent fois de l’amitié, et ici nous avons affaire certainement au sentiment le plus profond du monde. […] La Fontaine a donc aimé les humbles, les petits, les souffrants, les opprimés, les écrasés, avec une véritable profondeur de sentiment, et ce sentiment il l’a exprimé d’une manière admirable bien souvent.

893. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XV. Du Purgatoire. »

Il n’y a peut-être rien de plus favorable aux Muses, que ce lieu de purification, placé sur les confins de la douleur et de la joie, où viennent se réunir les sentiments confus du bonheur et de l’infortune. […] Le rapport à établir entre le châtiment et l’offense peut produire ensuite dans le purgatoire tous les charmes du sentiment.

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