Bonstetten, disons-le bien vite pour nos Français qui savent si bien ignorer et sitôt oublier (quand ils l’ont su un moment) tout ce qui ne figure pas chez eux, sous leurs yeux et sur leur théâtre, était un aimable Français du dehors, un Bernois aussi peu Bernois que possible, qui avait fini par adopter Genève pour résidence et pour patrie, esprit cosmopolite, européen, qui écrivait et surtout causait agréablement en français, et qui semblait n’avoir tant vécu, n’avoir tant vu d’hommes et de choses que pour être plus en veine de conter et de se souvenir. […] Il n’était pas non plus de ceux qui, en effet, sont restés et n’ont jamais cessé d’être jeunes d’esprit, de vivacité, de goûts, comme on l’a dit du prince de Ligne, qui semblait avoir toujours ses vingt ans. […] Braves chevaliers, prodiguant leur vie sur les champs de bataille, il semble pourtant qu’un caractère de douceur et de modération ait été le trait distinctif de la famille : selon la remarque de M.
Elle semblait avoir un but politique et de circonstance, un but oblique. […] Après tout ce que la France a fait souffrir à nous et à l’Europe, le sentiment qui nous écarterait d’elle serait assez naturel ; cependant ce sentiment serait trompeur, et l’axiome prêché depuis dix ans semble plus vrai que jamais : « Point de salut que par la France ! […] Il a des percées de vues qui, détachées, sembleraient vraiment justifier ses airs de prophète.
Un livre d’histoire, qu’il publia quelque temps après (Revue de l’Histoire universelle), et qui semblait ne répondre qu’à une demande de librairie, lui servit à se remémorer les faits principaux du passé, dont il faut être muni dans le présent, et à rassembler sous une vue sommaire les résultats d’idées qui sont des conquêtes ; c’étaient des armes qu’il préparait. […] il y excelle, à la belle littérature, et il y semble presque indifférent. […] Prevost-Paradol, avec un talent littéraire si hors de ligne, semble donc avoir le tempérament exclusivement politique.
Napoléon semble ne plus mettre son orgueil qu’à voir plus loin et plus juste que d’autres. […] Que quelques fautes inévitables dans un si vaste travail, et inséparables de la manière même adoptée par l’historien ; des redites ou ce qui semble tel, et qui tient à un besoin extrême de clarté ; quelques inexactitudes sur des points accessoires et qu’on pouvait fort bien laisser de côté, pures inadvertances, sans effet sur l’ensemble, et qui tiennent encore à l’excellente habitude de ne parler qu’avec des données positives et avec des faits, non avec des phrases ; le tout si réparable dans une seconde édition : que ces taches légères n’aillent pas obscurcir dans notre esprit, quand nous jugeons de tout le monument, la grandeur du dessin, la noblesse et l’aisance de la distribution, la lucidité des exposés, la lumière des tableaux, l’ouverture et la largeur des horizons. […] Thiers me fit l’honneur de m’écrire pour me remercier de l’avoir défendu contre les écrivains à effet ; mais il trouva, sans peine à ajouter à ce que j’avais dit, et il le fit si bien, d’une telle abondance de cœur et d’une telle verve, qu’il me semble que je ne saurais choisir aujourd’hui d’autre avocat pour lui que lui-même : « Il y a entre ces messieurs et moi, disait-il, un malentendu irréparable.
C’est véritablement sa confession qui commence : « Le mouvement de ma vie a été si rapide, si varié, qu’il me semble avoir déjà vécu un siècle. […] Il me semblait que je pleurais avec un ami dont la douleur était la même, et que nos sanglots éclataient sous le poids d’une commune destinée ; tant il est vrai que la nature même, ce poëme de l’Éternel, n’a qu’un chant de désolation pour l’âme qui s’est une fois éloignée de son divin Auteur ! […] Il avait fait depuis longtemps ce vœu d’imagination qu’il lui semblait réaliser en ce moment : Je veux aller un jour sur un faîte sublime, Dans quelque vieux couvent penché sur un abîme, Où je n’entendrai plus aucun bruit des vivants ; Sur quelque Sinaï, sur un Horeb en flamme, Où l’Éternel descend, pour se montrer à l’âme, Vêtu de la foudre et des vents !