Toute cette histoire anecdote et secrète finira par sortir. […] En mars 1812, il paraît que Napoléon, surmontant ses répugnances, avait eu une dernière fois l’idée d’employer M. de Talleyrand en Pologne, et que, sur l’ouverture qui lui en avait été faite sous le sceau du secret, Talleyrand s’était empressé de négocier une opération financière à Vienne. […] Comme ce n’est point de l’histoire sévère que j’écris en ce moment, et que je ne vise qu’à mettre en lumière quelques traits essentiels d’un haut et curieux personnage, je veux marquer encore par un contraste sensible ce qu’il avait de supérieur en son genre et en quoi, par exemple, il l’emportait incomparablement pour la tenue, pour le secret, l’esprit de conduite et une dignité naturelle sur des acolytes, gens de beaucoup d’esprit, mais légers, intempérants, et qui ne venaient que bien loin à sa suite dans l’ordre de la politique et de l’intrigue.
Nous arriverions peut-être ainsi à saisir le secret de cette manière qui consiste à ne développer jamais l’idée morale, mais à lui substituer un emblème ou un symbole. […] Tel en un secret vallon, Sur le bord d’une onde pure, Croît, à l’abri de l’aquilon, Un jeune lys, l’amour de la nature. […] Nous en prendrons un autre exemple dans René : « Souvent j’ai suivi des yeux les oiseaux de passage qui volaient au-dessus de ma tête… Un secret instinct me tourmentait : je sentais que je n’étais moi-même qu’un voyageur ; mais une voix du ciel semblait me dire : — Homme, la saison de ta migration n’est pas encore venue ; attends que le vent de la mort se lève, alors tu déploieras ton vol vers ces régions inconnues que ton cœur demande. — Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie… » Nous pourrions multiplier les citations à l’infini ; car pour trouver des exemples de cette forme de style, il suffit presque de jeter au hasard les yeux sur quelques-uns des écrits qui ont fait bruit dans notre siècle, tandis qu’on se fatigue à en chercher dans la littérature classique.
Or, j’ouvre les Mémoires de Chateaubriand à l’endroit de son retour de Palestine, et je cherche vainement un détail, une révélation tendre, fût-elle un peu en désaccord avec l’Itinéraire, enfin de ces choses qui peignent au vrai un homme et un cœur dans ses contradictions, dans ses secrètes faiblesses. […] Ainsi, à côté de la jeune miss Ives, il est trop question de cette mère presque aussi belle que sa fille, de cette mère qui, lorsqu’elle est près de confier au jeune homme le secret qu’elle a saisi dans le cœur de son enfant, se trouble, baisse les yeux et rougit : « Elle-même, séduisante dans ce trouble, il n’y a point de sentiment qu’elle n’eût pu revendiquer pour elle. » C’est une indélicatesse de tant insister sur cette jolie maman. […] René, qui se croit en péril de mourir, écrit à Céluta, sa jeune femme indienne, une lettre où il lui livre le secret de sa nature et le mystère de sa destinée.
Qui confie si légèrement son secret, mérite qu’on le trahisse ; mais moi, que lui ai-je fait pour qu’il fasse dépendre le bonheur de ma vie du prince royal ? […] On plaignait devant lui Jean-Jacques Rousseau, qui avait été forcé de fuir : « Ne le plaignez pas trop, dit-il, il voyage avec sa maîtresse la Réputation. » Cette maîtresse-là est toujours la rivale, plus ou moins secrète, de l’autre maîtresse qui croit régner. […] Il s’était avisé de se faire donner une mission secrète de la part du ministère français auprès du roi de Prusse.
Pour exposer sa vraie théorie littéraire, il ne faudrait d’ailleurs qu’emprunter ses paroles : si je prends, par exemple, Les Parents pauvres, son dernier roman et l’un des plus vigoureux, publié dans ce journal même33, j’y trouve, à propos de l’artiste polonais Wenceslas Steinbock, les idées favorites de l’auteur et tous ses secrets, s’il eut jamais des secrets. […] Le père, j’allais dire l’amant, de Mme de Vieumesnil, de Mme de Beauséant, gardera sa place sur la tablette du boudoir la plus secrète et la plus choisie.