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2031. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édouard Fournier »

Sans elle, qui sait ? […] C’est, comme vous le voyez, un vrai regrattage, — insignifiant quand il n’est pas maladroit, — une espèce de travail semblable à celui que l’on fait parfois (et je n’ai jamais su pourquoi) sur les édifices que le temps a austèrement bistrés et qui portent, au rebord de leurs angles et sur le cordon de leurs nervures, la poussière chassée par les siècles ou la graine éclose qu’en passant l’oiseau du ciel y fit tomber. Quel effet bizarre produit sur nous Fournier, ce singulier racleur de mots, cet effaceur d’esprit, qui semble suspendu sur une planchette d’érudition que je crois très mince et très fragile, mais pourtant avec moins de risques que ses confrères en regrattage, et dont tout le soin est d’enlever le noir et la poussière à l’histoire, d’essuyer incessamment avec son torchon d’érudit cette estompe poétique que les proprets de l’exactitude bien lavée prennent pour une tache, et de s’acharner, jusqu’à ce qu’elles soient abattues, sur ces fleurs tombées on ne sait d’où, ces traditions qui voilent moins l’histoire qu’elles ne l’ornent, et qui ne sont pas contraires à la réalité parce qu’elles sont beaucoup plus belles ! […] Voici les paroles que l’on trouve presque en tête du livre qu’il publie sous le titre un peu gascon de l’Esprit dans l’histoire : « Je me donne là, — dit-il avec un joli mouvement de faon dans les bois, — je me donne là, je le sais, un labeur rude et téméraire ; et cependant, tant est vif mon désir de démolir le faux et d’arriver au vrai, tant est grande ma haine pour les banalités rebattues, pour les raisons non prouvées, pour le scandale et pour les crimes sans authenticité, je voulais étendre mon travail au-delà des limites que je me suis assignées ; mais j’ai reculé devant cet effort après l’avoir mesuré. […] Qui sait ?

2032. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Eugène Pelletan » pp. 203-217

Dans tous les cas, si c’est un livre, ce n’est certainement pas un livre d’histoire, quoique l’histoire contemporaine y soit brassée, Dieu sait avec quel tour de bras ! Pelletan est trop journaliste pour écrire correctement l’histoire ; mais, en revanche, il sait faire de la fantaisie et même de la fantasmagorie avec elle. […] En voulant descendre des hauteurs humiliées de la philosophie qui avait inspiré la Profession de foi du xixe  siècle, Pelletan n’a pas su aborder fermement et tranquillement l’histoire. […] … Et qui sait ? […] Le lyrique et l’enthousiaste qui sont encore en lui ont eu horreur de cet antipathique petit bourgeois, de ce Tartufe de libéralisme qui savait jouer sa partie avec l’opinion et gagner, en trichant, la popularité, de ce constructeur de couplets qui mettait de l’habileté jusque dans sa poésie charmante et dont l’imagination froide, madrée et libertine, n’eut jamais une grande et vraie inspiration.

2033. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hoffmann »

On saura désormais ce que vaut Hoffmann. […] Hoffmann resta toute sa vie dans l’entre-deux, entre cette foi au surnaturel sans laquelle il ne saurait y avoir de vrai fantastique, et cette comédie de terreur qu’Anne Radcliffe nous a jouée en maître. […] Chez lui, le fantastique demeure à l’état subjectif et vague, et par là, sans qu’il le sût, la notion s’en trouve altérée ; car le fantastique doit être objectif, solide, vivant, réel enfin de sa surhumaine réalité ! […] D’un autre côté, on sait qu’il est de la même race qu’Hoffmann. […] Or, on sait que Champfleury est romancier et n’est pas historien.

2034. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

Au milieu du discrédit singulier dans lequel les poètes du mot seul, jaloux comme des bouteilles vides contre des bouteilles pleines, ont essayé de faire tomber Byron, le poète du sentiment et du mot aussi, quoi qu’ils disent, quelques voix ont protesté ; et je sais mieux qu’une protestation, je sais presque une œuvre sur Lord Byron. […] Son Lord Byron, très en ronde-bosse, est resté incomplet, et l’historien de cette grandeur littéraire a toujours le droit d’arriver… Je ne dirai point que le voici, mais qui sait ? […] Grenier — est allé jusqu’à dire que Byron est plus Grec même que les Anciens qui ont imité les Grecs ; et rien n’est plus vrai… Je sais d’autant plus gré de cette intuition à A.  […] » — Chose très curieuse à noter et qu’on ne note point, et par laquelle je terminerai cette vue trop rapide sur Byron, c’est que ce Grec des premiers temps dans les temps modernes, était, qu’il l’ait voulu ou non, ignoré ou su, un chrétien !

2035. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « MM. Delondre et Caro. Feuchtersleben et ses critiques. — L’Hygiène de l’âme » pp. 329-343

D’ailleurs, quand on s’appelle Schlesinger, on doit savoir l’allemand. […] Caro, le professeur de philosophie, ne puisse se risquer à faire l’éloge de toutes les grandes philosophies qui s’en viennent scandaleusement d’au-delà du Rhin, et profite de l’occasion, quand elle lui est offerte, de louer les petites, qui ne sauraient le compromettre, et seulement pour rappeler qu’il est de l’état. […] elle y est, mais il faut la faire jaillir ; il faut savoir la dégager des innocences qui l’entourent [et l’éteignent : « Persuadez-vous que votre santé est bonne — dit l’auteur de l’Hygiène de l’âme, qui a l’air de se moquer de vous, mais qui ne s’en moque point ; — persuadez-vous que votre santé est bonne, et elle pourra le devenir. » Voilà l’innocence. […] C’est sur ce principe que « l’idée est la mère du fait », que le baron de Feuchtersleben aurait bâti son système, s’il avait su bâtir ; car ce principe, que l’Allemagne a depuis vingt ans appliqué aux sciences, aux religions, à l’art, à l’histoire, l’avait pénétré, et il aurait pu l’appliquer à son ordre de connaissances et d’études, à la condition de posséder la vigueur de déduction que doivent avoir tous les grands esprits secondaires qui viennent après les inventeurs. […] Pour combattre l’hypocondrie, une maladie qui fut toujours la tête de Méduse pour sa perruque de médecin, il n’y avait qu’à méditer « l’idée de Dieu et ses lois éternelles », et il les avait méditées, et s’il eût pu devenir brahmane, il n’eût plus eu même une colique ; car on sait que jamais les brahmanes ne meurent du choléra-morbus !

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