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1036. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Oui, Joseph de Maistre est tout cela, et il est aussi un homme très abordable, qui n’est point séparé de nous par un fleuve de sang. […] Le sang, depuis la création, imbibe la terre comme une rosée, et l’atmosphère dont vivent tous les êtres es£ une vapeur de sang. — Et au milieu de cet énorme carnage, voici un être tellement supérieur aux autres qu’il pourrait, ce semble, se soustraire à la loi du meurtre. […] « N’entendez-vous pas la terre qui crie et demande du sang ?  […] L’estomac digère et le sang circule sans que la volonté y soit pour rien, et sans qu’elle puisse arrêter leur fonctionnement, sinon par le suicide. […] Et cette magistrature, presque démesurément puissante, tous relèvent d’elle : le prince du sang est cité à sa barre comme le manant.

1037. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

Des hommes de sang l’environnaient ; ils froissaient de leurs mains impures ses membres délicats, ils assouvissaient tour à tour le besoin de la débauche et celui de la férocité, ils abîmaient leur victime de douleur et de honte. […] des torrents de sang français ? […] Dans le château Saint-Ange, au bruit de ces rumeurs, Mon âme était ouverte à la douce espérance De voir des indévots le sang couler en France, Et j’entendais de loin crier de tout côté : « Guerre aux républicains ! […] L’on faisait dire au noble Camille, à la fin de cette espèce de sermon et de capucinade fanatique : « En vérité, en vérité, je vous le dis et je vous en assure, c’est un nouveau baptême de sang qu’il faut à la France pour la purifier de tant de souillures et pour la rendre digne du rétablissement des autels et du trône.

1038. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Sans doute chaque génération nouvelle vient verser comme un rafraîchissement de sang vierge et pur dans la masse plus qu’à demi gâtée ; les ardeurs s’éteignent et se rallument sans cesse, le flambeau des espérances et des illusions se perpétue : Et, quasi cursores, vitaï lampada tradunt. […] La cause du peuple ne m’est pas moins sacrée ; je donnerais mon sang goutte à goutte pour elle ; je me reprocherais chaque instant de ma vie qui ne serait pas uniquement dévoué à cette cause ; mais le charme est détruit… » Et plus loin il parle encore de l’injustice du peuple, qui, sans diminuer son dévouement à cette cause, a détruit pour lui cette délicieuse sensation du sourire de la multitude. […] Mais M. de Chateaubriand, c’est tout simple, en proposant de mourir en armes, s’il le fallait, autour du trône des Bourbons, voyait pour l’idée monarchique, dans ce sang noblement versé, une semence glorieuse et féconde ; il motivait son opinion dans des termes approchants et avec cet éclat qu’on conçoit de sa bouche en ces heures émues. La Fayette, qui raconte ce détail et qui rappelle les chevaleresques paroles sur ce sang fidèle d’où la monarchie renaîtrait un jour, ne peut s’empêcher d’ajouter : « Constant (Benjamin Constant qui était de la conférence) se mit à rire du dédommagement qu’on m’offrait. » Et, en effet, la position de La Fayette en ce moment, au pied du trône des Bourbons, paraît bien fausse, surtout lorsqu’on a lu le jugement qu’il portait d’eux pendant 1814.

1039. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

Oui, certes, on peut dire qu’il a écrit Le Misanthrope avec toutes ses larmes et tout son sang. […] Une quinte le prit comme il demandait un oreiller rempli d’une certaine drogue à vertu dormitive ; une veine se rompit dans sa poitrine, et le sang lui sortit à flots par la bouche et les narines. […] Molière eut la gloire de faire de ces masques des hommes, de mettre du sang humain dans les veines de ces fantoches. […] Croyez-vous qu’il suffise d’en porter le nom et les armes, et que ce nous soit une gloire d’être sorti d’un sang noble quand nous vivons en infâmes ? […] Combien a-t-il épargné de sang à toute la France, en faisant voir l’inutilité des fréquentes saignées ?

1040. (1893) Alfred de Musset

Il ne peut ni se taire, ni dire autre chose : « Je t’aime, ô ma chair et mes os et mon sang. […] Mon seul amour, ma vie, mes entrailles ; mon sang, allez-vous-en, mais tuez-moi en partant. » Musset aussi n’en pouvait plus. […] Quelle puissante évocation du dieu impassible qui marche dans notre sang et se rit de nos larmes ! […] Cependant il tuera le duc, parce que le dessein de ce meurtre est le dernier reste du temps où il était « pur comme un lis », et que le sang du tyran lavera son ignominie. […] Il a le sang moins riche, le tempérament plus affiné, mais c’est lui, c’est bien lui.

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