« J’arrivai chez moi, dit-il, à minuit ; la scène de famille qui m’attendait était très propre à répandre une illumination joyeuse au milieu de quelque roman fantastique. […] — « Me voilà revenu, écrit Schiller, mais mon esprit est toujours avec vous à Weimar. » Goethe lui envoie à Iéna les premiers volumes de son roman philosophique, William Meister, œuvre énigmatique que les initiés seuls peuvent bien comprendre, et que nous-même nous avouons ne pas comprendre suffisamment pour en parler. […] Voyez l’Angleterre ; après que Chatham, le second Pitt, Gibbon, Fox, Canning, Byron, Walter Scott, eurent disparu, sa littérature, à l’exception du roman, de l’histoire et de l’éloquence, languit ; sa tribune même, cette littérature de la liberté, s’affaisse.
VI Goethe avait écrit vers 1792 le roman étrange et poétiquement populaire de Werther, comme Schiller avait écrit les Brigands : deux œuvres inexplicables et en dehors de toute vue morale ; de l’art pur, où la force de la passion conduit les jeunes héros de Schiller au crime, et le héros mélancolique de Goethe au suicide. […] Il écrivit des ballades allemandes très romantiques, mais qui, à nous, nous paraissent trop féeriques ou trop puériles ; puis des études remarquables sur la botanique, puis des Essais sur les couleurs où il crut détrôner Newton, puis le roman de Wilhelm Meister, espèce de rêve d’un Juif errant de l’humanité, plein d’intentions souvent inintelligibles, et parsemé de réalités délicieuses telles que l’épisode de Mignon ; puis un roman apocalyptique des Affinités électives, énigme dont le mot n’est pas encore trouvé.
Enfin M. de Cambrai me paraît beaucoup meilleur poète que théologien ; de sorte que, si, par son livre des Maximes, il me semble très peu comparable à saint Augustin, je le trouve, par son roman, digne d’être mis en parallèle avec Héliodore, l’auteur du roman grec de Théagène et Chariclée. Je doute néanmoins qu’il fût d’humeur, comme Héliodore, à quitter sa mitre pour son roman.
La réalité étant dégoûtante ou indifférente en soi, elle ne pouvait offrir d’intérêt que mise en drame ou en roman d’écriture jolie. […] Nous recommencerions ces œuvres bâtardes qui semblent bien plutôt des monographies extraites des mémoires d’une académie ou d’une gazette médicale que des romans ou des drames. […] Les romans et les nouvelles de Théophile Gautier offriraient peut-être la preuve la plus concluante que ce fut une lourde méprise.
Je mettrai là du Sainte-Beuve et du Taine, Adolphe, le Dominique de Fromentin, les Pensées de Marc-Aurèle, un peu de Kant, un peu de Schopenhauer ; puis un volume de Sully Prudhomme, les poésies de Henri Heine, celles de Vigny, peut-être les Fleurs du mal ; un roman de Balzac, Madame Bovary et l’Éducation sentimentale, un roman de Zola, un roman de Daudet ; le Crime d’amour de Bourget, quelques contes de Maupassant, Aziyadé ou bien le Mariage de Loti ; quelques comédies de Marivaux et de Meilhac, le Silvestre Bonnard d’Anatole France… Mais je m’arrête : cela fait déjà beaucoup plus de vingt volumes. […] Vous nous avez révélé la beauté spirituelle du roman russe, et vous nous avez fait honte de notre littérature de mandarins. […] Bientôt tout se fera par des machines, et nous croirons vivre dans un roman de Jules Verne. […] Car ils sont loin, les temps du chariot de Thespis ou de la roulotte du Roman comique. […] Ma chère cousine, J’ai vu récemment Léna, drame tiré d’un roman anglais par un comédien français et par une dame hollandaise, dont l’action se passe dans la banlieue de Londres, à Monaco et en Écosse, et qui est joué par des comédiens dont les uns reviennent d’Amérique, le jeune premier de Pétersbourg et la grande jeune première de partout.