. — Le Rire de Molière, comédie en vers (1888). — La Mort de Brizeux (1888). — Le Parnasse breton contemporain (1889). — Le Grand Ferré (1891). — Les Cloches, poésies (1892)
Au reste, il me semble de voir des aveugles qui errent dans l’obscurité ; quelques-uns s’entre-heurtent, d’autres, en voulant s’éviter, se frappent et se font choir ; personne ne devient plus sage, et tous rient du malheur de leurs concitoyens. […] Malgré l’ignorance qui nous environne, nous étudions, nous disputons sans cesse, et cette soif de savoir n’est jamais assouvie ; il me semble, en lisant les philosophes et les théologiens, voir des aveugles qui errent dans l’obscurité, qui s’entre-heurtent, qui, en voulant s’éviter, se font choir, qui embrassent l’ombre pour le corps, et qui se servent quelquefois, pour s’assommer, du bâton qui leur a été donné pour se conduire, Un petit nombre, tel que vous, Euler et Clairaut, élevés dans une plus haute région, rient de leurs folies et de leurs méprises, Qu’est-ce qui produit tant de faux jugements ? […] et tout bas vous riez à l’avance de mon mécompte, du piège où je vais tomber.
Le comte d’Artois hasarde pendant les repas des folies que le comte de Provence appelle des entremets ; quand nous avons quitté la table, il y a des jours qu’il redouble de gaieté et fait éclater d’un si gros rire M. le Dauphin qu’il nous en fait tous éclater en larmes. M. de Provence dit que mon mari a le rire homérique… » Louis XVI était un peu disproportionné, en effet, pour ces petites intimités ; il avait la nature trop forte, trop en plein air : il avait l’écorce rude et rien de poli. […] On y sent surtout la grâce de la jeunesse, le rire facile, la joie dont on est rempli et qui se répand.
Elle prélude au style ; les périphrases réputées élégantes, les épithètes de dictionnaire (grelot de la folie, docile écolière de l’indolent Épicure, folâtre enfant des ris), surabondent par moments : « Tu sais, écrit-elle un jour à son amie, que j’habite les bords de la Seine, vers la pointe de cette île où se voit la statue du meilleur des rois. […] Non, cette folie n’est pas du nombre des miennes ; si nous gardons nos barbouillages, c’est pour nous faire rire quand nous n’aurons plus de dents. » Et encore, au moment des confidences les plus tendres et les plus secrètes d’un cœur qui se croit pris : « Décachète la lettre, fais-en lecture, songe à mes tourments, aux siens… et vois si tu dois l’envoyer. […] Elle se fâche tout bas et se pique même contre eux autant que plus tard elle en rira : « Mes sentiments me paraissent bizarres ; je ne trouve rien de si étrange que de haïr quelqu’un parce qu’il m’aime, et cela depuis que j’ai voulu l’aimer : c’est pourtant bien vrai, je te peins au naturel ce qui se passe dans mon âme. » Les lettres à Sophie, dans ces moments de délicate confidence, deviennent plus vives, plus excitées ; il s’y fait sentir un contre-coup de mouvement et d’aiguillon.
On rit, on gaussa, on goguenarda. […] J’avais déjà remarqué, dans le même jardin, sa redingote râpée qui se boutonnait jusqu’au menton, son feutre déformé que jamais brosse n’avait brossé, ses cheveux longs comme un saule, et peignés comme des broussailles, ses mains décharnées, pareilles à des ossuaires, sa physionomie narquoise, chafouine et maladive, qu’effilait « une barbe nazaréenne ; et mes conjectures l’avaient charitablement rangé parmi ces artistes au petit-pied, joueurs de violon et peintres de portraits, qu’une faim irrassasiable et une soif inextinguible condamnent à courir le monde sur la trace du Juif-errant. » Nous vîmes simplement alors un grand et maigre jeune homme de vingt et un ans, au teint jaune et brun, aux petits yeux noirs très-vifs, à la physionomie narquoise et fine sans doute, un peu chafouine peut-être, au long rire silencieux. […] Quand le raisin est mûr, par un ciel clair et doux, Dès l’aube, à mi-coteau rit une foule étrange.