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395. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

Bernis ne pouvait, sans être pédant et ridicule, paraître s’apercevoir de toutes les irrévérences de son confrère et encore moins s’en choquer : il lui suffisait de les détourner indirectement d’un mot, et quelquefois, s’il allait trop loin, de le rappeler à la convenance en déguisant le conseil en éloge. […] Ce sont moins des remarques, dit-il, que des doutes : « J’aime votre gloire, c’est ce qui me rend peut-être trop difficile. » Puis il félicite Voltaire de ce talent que Dieu lui a donné, de corriger les ridicules de son siècle, et de les corriger en riant, et en faisant rire ceux qui ont conservé le goût de la bonne compagnie. […] Il indique alors quelques ridicules du jour qui sont un sujet tout fait pour la moquerie : « Il est plaisant, dit-il, que l’orgueil s’élève à mesure que le siècle baisse : aujourd’hui presque tous les écrivains veulent être législateurs, fondateurs d’empires, et tous les gentilshommes veulent descendre des souverains. » Il finit surtout par un conseil que Voltaire a trop peu suivi, et qui, au lieu de cette ricanerie universelle à laquelle il s’abandonnait, aurait dû être le but idéal suprême du grand écrivain en ces années de sa vieillesse : Riez de tout cela et faites-nous rire, lui dit Bernis en lui développant son plan ; mais il est digne du plus beau génie de la France de terminer sa carrière littéraire par un ouvrage qui fasse aimer la vertu, l’ordre, la subordination, sans laquelle toute société est en trouble.

396. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Le seul maître qu’il connaisse de cette science politique est l’abbé de Saint-Pierre, qu’il admire sans réserve, sauf la forme, et dont, selon lui, le seul malheur a été de ne pas être agréablement éloquent : « Quelques termes bizarrement placés, quelques idées de minuties qui l’occupent sur le chemin du grand, lui donnent du ridicule, et le ridicule dégoûte trop du bon en notre jolie patrie. » Mais au fond il lui accorde que « ses projets sont tous bons. […] D’Argenson ose être lui-même sans peur du ridicule et parler à sa guise sans rien de cette « petite circonspection » qui en France, dit-il, « étête » tous nos personnages.

397. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SCRIBE (Le Verre d’eau.) » pp. 118-145

La nature humaine, prise du boulevard Bonne-Nouvelle, n’est peut-être pas très-large, très-profonde, très-généreuse en pathétique ou en ridicule ; mais elle est très-fine, très-variée et très-jolie. […] Mélesville, il revint à la charge vers le Théâtre-Français, et s’attaqua hardiment au vice politique, ce nouveau ridicule tout récemment démasqué. […] Si cette réalité n’était qu’affreusement triste, on trouverait encore moyen de s’en tirer ; mais elle réunit à une tristesse profonde tous les caractères de contradictions et de ridicules, et tellement en grand qu’on n’arrive au théâtre que bien blasé.

398. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Dans le Repas ridicule, dans les Embarras de Paris, dans la Lésine de la satire X, la réalité vulgaire est traduite avec une exactitude puissante : et dans le Lutrin, ce qui est purement pittoresque et traduisible par le dessin et la couleur, profils et gestes de chanoines, de chantres, meubles, flacons, « natures mortes », tout cela est indiqué d’un trait sûr et léger, avec une charmante sincérité. […] Quand il veut les relier directement l’une à l’autre, ces ponts qu’il établit, et qui sont ses transitions, sont aussi maladroitement jetés que possible : rien de plus ridicule que les transitions du second chant. […] Il a défini l’épopée comme Chapelain et Scudéry, « un roman héroïque en vers, merveilleux, allégorique et moral » : par superstition d’humaniste, il a, contre Desmarets369, maintenu la mythologie dans la poésie française comme un système d’élégants symboles, sans s’apercevoir quel démenti il donnait ainsi à son vigoureux réalisme ; et par une légèreté de bourgeois indévot, il a estimé que le « diable » des chrétiens était toujours et partout un objet ridicule : ce théoricien de la poésie fermait tout bonnement la poésie au sentiment religieux.

399. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Déjà pourtant, dans le premier Condorcet, un trait distinctif perçait sous cette apparente bonhomie et jusque dans cette bonté réelle : « Il a le tact le plus sûr et le plus délié pour saisir les ridicules et pour démêler toutes les nuances de la vanité ; il a même une sorte de malignité pour les peindre », disait Mlle de Lespinasse. […] De la part d’un homme si habile à saisir les ridicules et les défauts des gens qu’il avait sous les yeux, on ne s’explique point une pareille crédulité ; ou plutôt on se l’explique très bien par l’esprit de système, qui sait concilier ces sortes de contradictions. […] Si quelques-uns de ses collègues, qu’il appelle des factionnaires habitués des Tuileries, se plaignent d’avoir été insultés par le peuple en entrant dans la salle des séances, il trouve ces réclamations ridicules.

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