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543. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

. — Oui, ennuyeux tant que vous voudrez ; ils parlaient de ce qu’ils ne savaient pas bien, ils entreprenaient un jeune homme qui y était peu propre, ils allaient comme sont allés si souvent nos théoriciens prêcheurs, tout droit devant eux et à tort et à travers ; mais l’idée pourtant, l’idée française d’une histoire suisse à faire, — du besoin qu’on avait d’une histoire suisse, — restait attachée à l’imagination et enfoncée dans l’esprit de Bonstetten ; il emportait sans y songer l’aiguillon ; et lorsque trois ans après, il rencontre Jean de Muller au seuil de sa magnanime entreprise, mais encore incertain sur la forme, sur l’étendue, sur la plénitude du dessein, Bonstetten se souvient à l’instant et se sert de l’aiguillon qu’il a reçu, et, devenu prêcheur à son tour, il pousse, excite et soutient son ami dans la grande carrière. […] Quoi qu’il en soit de ces distinctions qui m’échappent un peu, Bonstetten resta toujours, en tant qu’écrivain français, vif, rapide, naturel, un causeur qui trouve son expression et qui ne la cherche jamais : en quoi il diffère du tout au tout des autres écrivains bernois, du respectable et savant Stapfer, par exemple, qui ne put jamais désenchevêtrer sa phrase française, et qui, avant d’écrire une seule ligne, se demandait toujours dans un embarras inextricable : N’est-ce pas un germanisme ? […] Au sortir de son bailliage de Nyon et revenu à Berne ou fermentaient des passions politiques très animées, Bonstetten y resta le moins qu’il put, et, après quelque temps passé à sa belle terre de Valeyres près d’Orbe, il accepta la mission de syndic dans les pays italiens sujets, dans ce qui forme aujourd’hui le canton du Tessin. […] [NdA] Bonstetten resta en correspondance avec la comtesse d’Albany, et la Bibliothèque de Montpellier, où sont déposés les papiers de la princesse légués par le peintre Fabre, son troisième mari (mari ou peu s’en faut, le mot d’ailleurs est de Bonstetten), possède plusieurs lettres de Bonstetten à elle adressées, sans compter des lettres de Sismondi à la même, dans lesquelles il est souvent question de lui.

544. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Il resta le premier, trois années durant, et en tête de cette promotion très distinguée (1841-1844) qui comptait dans ses rangs les Corrard, les Janet, les Burnouf, les Thurot, Sommer, Denis, etc., tous noms justement estimés dans le monde universitaire, et quelques-uns bien connus dans le monde des académies. […] J’avais dit, le jour où j’eus l’honneur de succéder à Delavigne pour le fauteuil académique, que je regrettais, dans ses drames, qu’au lieu d’aller de concessions en concessions du côté du romantisme sans y atteindre jamais, le poète ne fût pas resté plus franchement ce qu’il était par nature et par goût, — classique : et quand j’exprimais publiquement ce regret ce n’était pas du tout que moi-même je fusse devenu classique, ni que je me fusse converti (comme Rigault le prétendait en me raillant agréablement) ; mais j’aime ce qui a un caractère, j’aime l’originalité et l’individualité dans la poésie et dans l’art, cette individualité ne fût-elle pas précisément la mienne ni celle de mes amis. […] Ce livre, en effet, s’offrit d’abord sous forme de thèse pour le doctorat : la soutenance de Rigault est restée célèbre dans les fastes de la Sorbonne, de la Faculté des Lettres. […] Il était journaliste, mais, comme un professeur qui veut rester professeur peut l’être, en défendant les principes établis et consacrés, en respectant tout ce qui est ou ce qui paraît respectable ; les convenances n’étaient pas seulement pour lui des conventions, elles étaient des convictions.

545. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

Il n’est pas si aisé qu’on le croirait, même à ceux qui devraient être le mieux informés, de répondre avec précision ; car les candidatures ne se constatent positivement que par des lettres adressées au secrétaire perpétuel de l’Académie, et plusieurs de ces candidatures restent latentes et à l’état d’essai jusqu’au dernier moment. […] Les autres académiciens, après cette première information, restent bien libres d’intervertir les rangs et de voter à leur gré ; mais, en général, il faut être porté sur la liste pour obtenir les suffrages de la Compagnie. […] Mais n’y eût-il, après examen et débat contradictoire, d’autre résultat que de rester plus ferme chacun dans son opinion, et de donner satisfaction au public avec qui il faut toujours plus ou moins compter, ce ne serait pas avoir perdu son temps ni ses paroles. […] Mazères semble avoir pour lui l’ancienneté des titres, leur parfaite convenance dans la circonstance présente, une collaboration heureuse avec des maîtres illustres de la scène, et, en son propre et seul nom, des pièces agréables, dont une, faite de verve, le Jeune Mari, est restée au répertoire ; ce qui était fort compté en d’autres temps.

546. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Il était des amis de mon père et des miens, homme d’un esprit doux, aimable dans la société, orné de plusieurs connaissances et ayant du goût pour les lettres comme pour ceux qui les cultivent ; mais, soit par un dévouement trop ordinaire aux intendants pour les ordres de la Cour, soit parce qu’il croyait, comme bien d’autres, qu’il ne restait plus dans le parti protestant qu’une opiniâtreté qu’il fallait vaincre ou plutôt écraser par le poids de l’autorité, il eut le malheur de donner au reste du royaume un exemple qui n’y fut que trop suivi et dont le succès surpassa d’abord les espérances même de ceux qui le faisaient agir. […] Le roi l’en loue ; puis on en vient au premier détail du plan proposé pour, faciliter les conversions : « Je lui montrai, dit Foucault, la carte que j’avais fait faire du Béarn, avec la situation des villes et des bourgs où il y avait des temples ; je lui fis voir qu’il y en avait, un trop grand nombre et qu’ils étaient trop proches les uns des autres, qu’il suffirait d’en laisser cinq, et j’affectai de ne laisser subsister que les temples, justement au nombre de cinq, dans lesquels les ministres étaient tombés dans des contraventions qui emportaient la peine de la démolition du temple, dont la connaissance était renvoyée au Parlement, en sorte que, par ce moyen, il ne devait plus rester de temples en Béarn. […] Leur procès fut bientôt fait, et les arrêts qui en ordonnèrent l’exécution furent exécutés sans perdre de temps, en sorte qu’en moins de six semaines il ne resta pas un temple dans tout le Béarn. […] Le mois suivant, tout est converti, sauf trois ou quatre cents qui restaient encore à ramener, à son départ de la province.

547. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Amis de l’ancien régime et partisans du droit divin, qui en étiez venus, en désespoir de cause, à préconiser le suffrage universel ; à qui (j’aime à le croire) la conviction était née à la longue, à force de vous répéter, et qui vous montrez encore tout prêts, dites-vous, mais moyennant, j’imagine, certaine condition secrète, à embrasser presque toutes les modernes libertés ; — partisans fermes et convaincus de la démocratie et des principes républicains, polémistes serrés et ardents, logiciens retors et inflexibles, qui, à l’extrémité de votre aile droite, trouvez moyen cependant de donner la main parfois à quelques-uns des champions les plus aigris de la légitimité ; — amis du régime parlementaire pur, et qui le tenez fort sincèrement, nonobstant tous encombres, pour l’instrument le plus sûr, le plus propre à garantir la stabilité et à procurer l’avancement graduel de la société ; — partisans de la liberté franche et entière, qui ne vous dissimulez aucun des périls, aucune des chances auxquelles elle peut conduire, mais qui virilement préférez l’orage même à la stagnation, la lutte à la possession, et qui, en vertu d’une philosophie méditée de longue main dans sa hardiesse, croyez en tout au triomphe du mieux dans l’humanité ; — amis ordinaires et moins élevés du bon sens et des opinions régnantes dans les classes laborieuses et industrielles du jour, et qui continuez avec vivacité, clarté, souvent avec esprit, les traditions d’un libéralisme, « nullement méprisable, quoique en apparence un peu vulgaire ; — beaux messieurs, écrivains de tour élégant, de parole harmonieuse et un peu vague, dont la prétention est d’embrasser de haut et d’unir dans un souple nœud bien des choses qui, pour être saisies, demanderaient pourtant à être serrées d’un peu plus près ; qui représentez bien plus un ton et une couleur de société, des influences et des opinions comme il faut, qu’un principe ; — vous tous, et j’en omets encore, et nous-mêmes, défenseurs dévoués d’un gouvernement que nous aimons et qui, déjà bon en soi et assez glorieux dans ses résultats, nous paraît compatible avec les perfectionnements désirables ; — nous tous donc, tous tant que nous sommes, il y a, nous pouvons le reconnaître, une place qui resterait encore vide entre nous et qui appellerait, un occupant, si M.  […] Je me trompe fort, ou ici l’avantage ne restera pas aux plus habiles. […] ce seul nom cependant est si beau, et la chose en elle-même si digne d’envie ; elle est si chère à ceux qui l’ont adoptée à l’heure où l’on croit et où l’on aime, et qui sont restés fidèles à ce premier idéal trop souvent brisé ; elle a été tellement notre rêve à tous, notre idole dans nos belles années ; elle répond si bien, jusque dans son vague, aux aspirations des âmes bien nées et trouve si bien son écho dans les nobles cœurs, qu’on hésite à venir y porter l’analyse, à la vouloir examiner et décomposer. […] Développons, autant qu’il est en nous, l’intelligence, la moralité, les habitudes de travail dans toutes les classes de la société française ; cela fait, nous pourrons mourir tranquilles ; la France sera libre, non de cette liberté absolue qui n’est point de ce monde, mais de cette liberté relative qui seule répond aux conditions imparfaites, mais perfectibles, de notre nature. » C’est fort sensé, et du moins, on l’avouera, très spécieux ; mais cela ne satisfait point peut-être ceux qui sont restés entièrement fidèles à la notion première et indivisible de liberté, et je ne serai que vrai en reconnaissant qu’il subsiste, toutes concessions faites, une ligne de séparation marquée entre deux classes d’esprits et d’intelligences : Les uns tenant ferme pour le souffle de flamme généreux et puissant qui se comporte différemment selon les temps et les peuples divers, mais qui émane d’un même foyer moral ; estimant et pensant que tous ces grands hommes, même aristocrates, et durs et hautains, que nous avons ci-devant nommés, étaient au fond d’une même religion politique ; occupés avant tout et soigneux de la noblesse et de la dignité humaines ; accordant beaucoup sinon à l’humanité en masse, du moins aux classes politiques avancées et suffisamment éclairées qui représentent cette humanité à leurs yeux.

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