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516. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

… Ou bien, par un de ces empêchements qui, pour la Critique, restent toujours un peu des mystères, son talent, jusque-là si éclatant et si large, aurait-il trouvé en lui-même ses propres causes d’appauvrissement ? […] Ainsi, disons-le tout d’abord, malgré des qualités qui recommanderaient encore, sans nul doute, un esprit inférieur à Macaulay, nous n’avons pu reconnaître dans ces deux volumes le talent agrandi de l’écrivain qui, en 1827, 1828, 1832, 1835, écrivait sur Machiavel, Dryden, la Guerre de la succession, par lord Mahon, l’Histoire de la Révolution de 1688, par Mackintosh, ces articles abondants et lumineux qui resteront comme des modèles de critique élevée et vivante. […] Il va jusqu’à dire hypocritement que les lois anglaises, sans exception, selon l’opinion des plus grands jurisconsultes : Holt, Tréby, Maynard et Somers, « restèrent après la Révolution ce qu’elles avaient été auparavant », comme s’il s’agissait de législation générale !

517. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des Pyrénées »

Or, en supposant que cette chambre noire du cerveau d’un homme fonctionnât mieux que les machines sorties de ses mains, par cela seul qu’il resterait astreint au coup de timbre fatal de la chronologie l’historien des faits ne nous en montrerait jamais que la fourmilière, plus ou moins fortement groupée, ou la procession éternelle, défilant plus ou moins rapidement sous nos yeux. […] Pourquoi y a-t-il des nations, très méritantes du reste, des races nobles et fortes, qui doivent rester obscures, comme parfois des hommes de génie ? […] Or, cette espèce d’histoire-là, ce ne sont pas les renseignés, les savants, les attachés et les attelés aux faits qui la composent, tous ces gens qui, voulant faire un livre exact et impartial, n’ont qu’à barrer leurs portes et rester assez indifférents pour ne jamais mentir ; mais bien ceux plutôt qui impriment leur pensée et leurs doctrines sur la face brute de l’Histoire.

518. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le roi René »

Elle est restée obscure, cette bataille, et il faut aller la chercher au fond de quelque chronique oubliée, lorraine ou bourguignonne, pour la retrouver ! […] « Pour un prince déjà pauvre, — dit Lecoy de la Marche, — ayant une expédition maritime, des luttes à soutenir en Italie, et des charges de toute espèce, c’était là un véritable désastre, et jamais sa position financière ne devait s’en relever. » Et, de fait, elle ne s’en releva pas, et jusqu’à l’heure où elles lui tombèrent du front, il resta embarrassé et empêtré dans ses couronnes, ce Roi qui finit par les perdre, et par les perdre avec tout ce qu’il fallait pour les conserver ! […] Henri IV est resté dans l’histoire le « bon Roi Henri », comme René d’Anjou « le bon Roi René », mais avec cette différence que Henri IV ne tient pas tout entier dans ces deux mots, et qu’on en dit encore autre chose.

519. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

Renée, au milieu des distractions d’une vie politiquement active, est resté littéraire et se maintient tel. […] Elle y était venue, attirée par son amie madame de Chantai, qui en était supérieure, et elle y resta, captivée par la règle de ce François de Sales qui savait mêler à tout un miel divin. […] Elle n’avait souhaité que le silence et l’oubli ; son vœu devait être exaucé, car son nom est à peine resté dans la mémoire des hommes.

520. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Sévigné » pp. 243-257

Je vais vous montrer qu’on peut être substantiel comme un monsieur lourd, — exact comme un monsieur imbécile, — fidèle comme un commissionnaire qui répète ce qu’on lui a dit, — et cependant rester léger, brillant, pénétrant, ce qu’on est, parbleu ! […] Prude, en somme, sous ses airs de page, honnête toute sa vie sans que cela lui coûtât un sou d’effort pour le rester, coquette d’esprit, de coiffure, de corsage, de bras nus abandonnés, qui se donnaient à tous et qui n’ont jamais étreint personne, coquette même de maternité, madame de Sévigné résume en elle deux figures de Molière qui, dédoublées, font la femme française : Elmire et Célimène. […] Elle est restée une des gloires de l’ordre de la Visitation.

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