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657. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

Leys, à qui il était si aisé, pour sa manière archaïque, de dénier l’originalité en le déclarant un disciple pur et simple d’Albert Durer, Théophile Gautier s’y prend avec plus de ménagement ; il a toute une théorie pour le cas particulier, et il entre dans les explications les plus appropriées comme les plus favorables : « S’il est permis, dit-il, de ressembler à quelqu’un, c’est sans doute à son père, et M.  […] Diaz, dit-il, vit dans un petit monde enchanté où les couleurs s’irisent, où les rayons lumineux traversent des feuillages de soie, où les objets sont baignés d’une atmosphère d’or ; le ciel ressemble à l’or bleu du col des paons, les gazons se mordorent, la terre scintille comme un écrin, les étoffes miroitent ou s’effrangent en fanfreluches étincelantes, etc., etc. » Il vous montre, en un mot, Diaz tel qu’il était en cette première manière ; à force d’être exact, il le contrefait et le grime : voyez, jugez ensuite !

658. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

. — « J’ai donc des parents, repris-je vivement avec un mouvement qui ressemblait à de la joie, mais qui dura moins de temps qu’il n’en fallut pour l’exprimer. » —    Ceci est beau, beau de nature ; car, au moment même où cette joie le traverse, une angoisse cruelle a saisi l’âme d’Émile : il avait déjà provoqué Édouard, déjà le duel est réglé, c’est le lendemain malin qu’il doit se battre, et il apprend que c’est contre un frère ! La description des préparatifs est très-sentie, et l’événement qui a tant marqué depuis dans la vie de M. de Girardin y donne un sens particulier et comme prophétique : « Le mystère qu’il faut mettre à tous les apprêts d’un duel, ces apprêts mêmes, ont quelque chose d’horrible ; les soins, les précautions qu’il faut prendre, le secret qu’il faut garder, tout cela ressemble aux préparatifs d’un crime.

659. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

Mme de Sévigné loue continuellement sa fille sur ce chapitre des lettres : « Vous avez des pensées et des tirades incomparables. » Et elle raconte qu’elle en lit par-ci par-là certains endroits choisis aux gens qui en sont dignes : « quelquefois j’en donne aussi une petite part à Mme de Villars, mais elle s’attache aux tendresses, et les larmes lui en viennent aux yeux. » Si on a contesté à Mme de Sévigné la naïveté de ses lettres, on ne lui a pas moins contesté la sincérité de son amour pour sa fille ; et en cela on a encore oublié le temps où elle vivait, et combien dans cette vie de luxe et de désœuvrement les passions peuvent ressembler à des fantaisies, de même que les manies y deviennent souvent des passions. […] « Le seul art dont j’oserais soupçonner Mme de Sévigné, dit Mme Necker, c’est d’employer souvent des termes généraux, et par conséquent un peu vagues, qu’elle fait ressembler, par la façon dont elle les place, à ces robes flottantes dont une main habile change la forme à son gré. » La comparaison est ingénieuse ; mais il ne faut pas voir un artifice d’auteur dans cette manière commune à l’époque.

660. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

C’est dans Charles et Marie que se trouve ce mot ingénieux, souvent cité : « Les défauts dont on a la prétention ressemblent à la laideur parée ; on les voit dans tout leur jour. » Si le voyage en Angleterre, le ciel et la verdure de cette contrée jetèrent une teinte lactée, vaporeuse, sur ce roman de Charles et Marie, on trouve dans celui d’Eugénie et Mathilde, qui parut seulement en 1811, des reflets non moins frappants de la nature du Nord, des rivages de Hollande, des rades de la Baltique, où s’était assez longtemps prolongé l’exil de Mme de Flahaut. « La verdure dans les climats du Nord a une teinte particulière dont la couleur égale et tendre, peu à peu, vous repose et vous calme… Cet aspect ne produisant aucune surprise laisse l’âme dans la même situation ; état qui a ses charmes, et peut-être plus encore lorsqu’on est malheureux. […] Un ami qui l’interrogeait, en 1814, sur l’état réel de la France jugée autrement que par les journaux, reçut cette réponse : que l’état de la France ressemblait à un livre ouvert par le milieu, que les ultras y lisaient de droite à gauche au rebours pour tâcher de remonter au commencement, que les libéraux couraient de gauche à droite se hâtant vers la fin, mais que personne ne lisait à la page où l’on était.

661. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

M. de Talleyrand retrouvait là, avec plus de jeunesse, une image des cercles de la maréchale de Luxembourg et de la maréchale de Beauvau ; mais il se plaignait galamment de ce trop de jeunesse, et qu’il lui fallût attendre quinze ans au moins encore, disait-il, pour que cela ressemblât tout à fait. […] De la lecture rapide qu’il m’a été donné de faire de l’un de ces ouvrages (Olivier), j’avais pris en note quelques pensées, notamment celles-ci : « Il y a des êtres dont on se sent séparé comme par ces murs de cristal dépeints dans les contes de fées : on se voit, on se parle, on s’approche, mais on ne peut se toucher. » « Il en est des maladies de l’âme comme de celles du corps : celles qui tuent le plus sûrement sont celles qu’on porte avec soi dans le monde ; il y a des désespoirs chroniques (si on osait le dire) qui ressemblent aux maux qu’on appelle ainsi : ils rongent, ils dévorent, ils détruisent, mais ils n’alitent pas. » « Le désaccord dans les mouvements du cœur irrite comme le désaccord en musique, mais fait bien plus de mal.

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