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528. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

C’était une personne de vertu et de religion : Mlle Aïssé lui confia tout le passé, et ses scrupules encore vifs, ses remords d’un amour invincible ; Mme de Calandrini lui donna de bons conseils, lui fit promettre, au départ, d’écrire souvent, et ce sont ces lettres précieuses que nous possédons. Nulle part la société du temps n’est mieux peinte ; nulle part une âme qui soumet l’amour à la religion n’exhale des soupirs plus épurés, des parfums plus incorruptibles. […] Elle se décide à remplir ses pratiques de religion. […] Mais, nous autres, nous sommes devenus plus raisonnables apparemment qu’on ne l’était même sous Louis XV ; nous savons concilier à merveille la religion des morts et notre convenance du moment ; nous avons des propos solennels et des actions positives ; le réel nous console bonnement de l’invisible, et c’est pourquoi l’historien de Mlle de Liron n’a été que véridique en nous faisant savoir qu’Ernest devint raisonnablement heureux.

529. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Le hasard lia ces effets locaux à quelques circonstances heureuses ou malheureuses de ses chasses ; des positions relatives d’un objet ou d’une couleur le frappèrent aussi en même temps : de là le manitou du Canadien et le fétiche du nègre, la première de toutes les religions. […] Ce fut sans doute l’Amitié en pleurs sur un monument qui imagina le dogme de l’immortalité de l’âme et la religion des tombeaux. […] Les philosophes se servirent de ces idées des peuples pour sanctifier de bonnes lois par le sceau de la religion, et le polythéisme, rendu sacré par le temps, embelli du charme de la poésie et de la pompe des fêtes, favorisé par les passions du cœur et l’adresse des prêtres, atteignit, vers le siècle de Thémistocle et d’Aristide, à son plus haut point d’influence et de solidité. » XXXVI Après les deux romans d’Atala et de René, il en ébaucha un troisième : le Dernier des Abencérages ; mais, à l’exception de l’incomparable romance : Combien j’ai douce souvenance, ce roman, entièrement d’imagination, ne fut qu’un roman français sans vérité et sans succès, très-inférieur aux deux autres. […] Bonaparte l’agréa et le nomma secrétaire d’ambassade à Rome, heureux d’adresser au pape le jeune écrivain restaurateur de la religion.

530. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Il voit cependant quelques gens de lettres ; en composant, comme imprimeur, un livre sur la Religion naturelle de Wollaston, il a l’idée d’écrire une petite Dissertation métaphysique pour le réfuter en quelques points. […] Il y a une fleur de religion, une fleur d’honneur, une fleur de chevalerie, qu’il ne faut pas demander à Franklin. […] De même pour la religion. […] Ç’a été de voir que, dans le temps où il était décidément esprit fort, il a manqué à la fidélité d’un dépôt, et que deux ou trois autres libres penseurs de sa connaissance se sont permis des torts d’argent ou de droiture à son égard : « Je commençai à soupçonner, dit-il, que cette doctrine, bien qu’elle pût être vraie, n’était pas très profitable. » Il revient donc à la religion elle-même par l’utilité.

531. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Ainsi, dans sa nouvelle intitulée l’Hégélien, la protestante s’échappe dans l’exhibition de la Bible qu’elle donne à ce beau capitaine, — rouge d’idées comme de barbe, — qui n’a plus que la religion de M.  […] on ne croirait que la femme qui se moque ainsi du monde élégant avec une légèreté, pour le moins égale à la sienne, soit cependant de la même religion que miss Edgeworth ou Mme Necker ? […] La beauté humaine cède ici devant la beauté surnaturelle, et on a jugé par le contraste entre une religion qui produit des Saintes comme sainte Thérèse et celle qui ne fait d’une âme, naturellement propre à tout ce qu’il y a de plus grand, rien de plus peut-être que la femme la plus méritante du protestantisme contemporain, et certainement le cœur le plus vaillant qui y ait jamais palpité ! X Je l’ai déjà dit une première, fois, à propos des Horizons prochains, la femme qui écrivait ces choses où l’amour de Dieu s’élevait déjà à une passion inconnue, à tant d’âmes qui croient l’aimer pourtant, appartient de toute éternité, à nous autres catholiques, qui avons la vraie religion de l’amour !

532. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

» Ainsi d’écho en écho retentit la question éternelle, unique matière de la religion, de la poésie et de la science, poursuivie par toutes les puissances de l’homme « qui, alarmées, demandent, invoquent la lumière, comme les lèvres du voyageur altéré appellent la source dans le désert. » Mais jamais elle ne reparaît plus impérieuse que dans des temps comme les nôtres, où les anciennes réponses niées ou combattues laissent l’âme en proie au tourment du doute, battue par le vent des opinions contraires, ébranlée et arrachée à tous ses appuis. […] Il ne remarquait pas que les suppositions du théologien se fondent sur un dogme théologique, reculé au plus profond du ciel, hors des prises de toute science, incapable de produire une morale naturelle, capable de produire une religion positive, et qu’il eût repoussé s’il l’eût entrevu. […] La religion protestante est libérale ; inconséquente en théorie et prudente en pratique, elle fait une part à la raison et à l’orgueil ; elle accepte et limite la discussion et l’indépendance ; si elle trace un cercle autour de l’homme, elle lui permet de s’y agiter. […] Jouffroy demeura dans cette religion, qui fournissait un aliment à sa foi sans fermer la carrière à sa logique, qui s’appuyait sur la science nouvelle, au lieu d’être ébranlée par la science nouvelle, qui défendait la liberté au lieu de soutenir la tyrannie, et qui, tolérante, accréditée, nationale, convenait à son patriotisme, à son orgueil et à sa raison.

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