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482. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Il y lut plusieurs écrits sur l’Histoire naturelle, et entre autres morceaux historiques, une dissertation sur la politique des Romains dans la religion, prélude d’un de ses chefs-d’œuvre. […] Deux pères jésuites tourmentèrent Montesquieu à son lit de mort pour obtenir ces corrections, mais il refusa de les leur remettre et les confia à deux de ses amies, mesdames d’Aiguillon et Dupré de Saint-Maur, en leur disant : « Tout pour la religion si l’on veut, — pour les jésuites rien. » On ajoute qu’il répondit au prêtre qui lui apportait le viatique, et qui lui répétait : « Comprenez-vous, monsieur, combien Dieu est grand ? […] Un tel être pouvait à tous les instants oublier son Créateur ; Dieu l’a rappelé à lui par les lois de la religion. […] Ce n’est pas la loi, c’est la religion qui y protége le sexe faible. […] Les influences des lois et leurs causes sont dans les mœurs, dans les habitudes, dans les territoires, dans les terres, dans les mers, dans les circonstances, dans les religions, dans les ambitions, dans les grands hommes des peuples qui les communiquent à leurs nationaux et à leur temps.

483. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Mais ayant l’ambition singulière de faire de son art une religion et de son théâtre une sorte d’église, il comprenait cependant que, dans aucune de ses œuvres, il n’avait montré le chemin de cette régénération, de cette perfection spirituelle, dont il ne se souciait guère, mais qui s’impose à l’homme et à l’humanité comme le but suprême. […] Mais qu’un jeune homme, qui n’est après tout qu’un niais, pénètre d’un seul coup toutes les profondeurs de la religion et de la philosophie, parce qu’une femme a posé ses lèvres sur les siennes, c’est là une idée qui peut plaire aux théoriciens du pessimisme, mais qui ne persuadera jamais un esprit sain, malgré tout l’artifice du dramaturge et du musicien. […] Ce qui fait défaut dans ce drame de la pitié, c’est le génie de l’espérance, flamme sacrée de la religion du Christ et de toutes les grandes religions aryennes. […] Mais la plupart de ces notes sa rapportent aux questions préférées de Religion et de Philosophie : Une condamnation du Pessimisme : « Celui qui ne tâche pas à trouver la Joie est indigne de la vie, pour lui dépourvue de signification. » (p. 55). […] Cette phrase, nullement ironique : « Les jeunes hommes comprenaient le Seigneur exactement aussi peu qu’un chien fidèle comprend son maître ; mais ils l’aimaient, l’écoutaient — sans le comprendre — et ils ont fondé une nouvelle Religion. » (p. 118).

484. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

Quant à moi (toujours toute religion à part), cette condition de la vie physique, cette anthropophagie de toute la nature aurait suffi à elle seule pour me faire rejeter l’existence à un tel prix, et si jamais un doute impie effleura mon âme sur l’existence ou sur la nature du premier principe, c’est en réfléchissant à cette dépravation véritablement surhumaine, à cette méchanceté préméditée et sanguinaire de la nature ; c’est en me demandant avec une horreur éperdue, mais logique : Qui a donc inventé cette loi suprême de destruction ? […] Quand cette heure du vide du cœur et de la solitude faite autour de nous à l’improviste par la mort arrive, nous nous retournons avec anxiété vers l’éternel contemporain de nos âmes, vers Dieu, et nous cherchons dans la religion le secret de cet horrible inconnu de la mort, le pire des supplices pour l’être pensant, car il les renferme tous. […] Nous demandons donc par les religions de la terre au Dieu du ciel de nous révéler le mystère de cet inconnu de la mort ! […] XVIII En effet, l’homme, ce misérable trompé par la vie, effaré par la mort, demande à ses religions au moins un Dieu, un seul Dieu, un Dieu évident, juste, bon, sauveur, paternel, pour réfugier ses pensées et ses douleurs dans une miséricorde sans fond ; et voilà que ses religions elles-mêmes au lieu d’un lui en ont fabriqué mille, et qu’elles lui multiplient les angoisses du doute jusque dans le remède même du doute, la foi ! […] … S’il parcourt l’espace, s’il remonte les temps, il voit presque autant de religions que de grandes divisions de temps ou que de grandes divisions du globe : la foi de Wichnou et de Brama dans l’Orient, celle de Fô et de Confutzé dans la Chine, celle de Zoroastre dans la Perse, celle de Pythagore dans l’Asie, celle d’Osiris dans l’Égypte, celle de Jupiter et de son Olympe, foi d’enfants en nourrice, dans la Grèce, celle de Teutatès dans la Gaule, celle des dieux scandinaves dans les Germanies, celle de Jéhovah dans la Judée, celle du Christ dans l’Asie et dans l’Europe romaine, celle d’Allah dans l’Arabie, dans l’Inde moderne, dans l’Asie Mineure, dans l’Afrique entière ; et, parmi ces religions, presque autant de subdivisions, de schismes, d’antipathies, de rameaux divergents que de souches, se disputant les symboles et les interprétations, et s’arrachant les unes aux autres les sectateurs, la polémique acharnée sur les lèvres ou le glaive impitoyable dans la main.

485. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Un grand voyageur de commerce »

Ils prétendaient conquérir à la vraie religion de nouveaux domaines. […] Ce n’est point pour sa patrie qu’il a travaillé ; et lui-même n’essaie pas sérieusement de nous faire croire que c’est pour sa religion.

486. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVI, les Érynnies. »

On peut mesurer par ces citations la hauteur et la profondeur du rang que les Érynnies occupaient dans la religion hellénique. […] Elles restaient dans la religion nouvelle par droit d’archaïsme, comme survivent, dans quelques Codes, des pénalités atrocement arriérées, non abolies, jamais appliquées ; fantômes odieux qui font tache sur la lumière des lois adoucies.

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