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220. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre VIII. Bossuet historien. »

» Sous ce nom de liberté, les Romains se figuraient, avec les Grecs, un état où personne ne fût sujet que de la loi, et où la loi fût plus puissante que personne. » À nous entendre déclamer contre la religion, on croirait qu’un prêtre est nécessairement un esclave, et que nul, avant nous, n’a su raisonner dignement sur la liberté : qu’on lise donc Bossuet à l’article des Grecs et des Romains. […] Remarquons que Tacite a parlé des pyramides177, et que sa philosophie ne lui a rien fourni de comparable à la réflexion que la religion a inspirée à Bossuet ; influence bien frappante du génie du christianisme sur la pensée d’un grand homme. […] « Ce fut après le déluge que parurent ces ravageurs de provinces que l’on a nommés conquérants, qui, poussés par la seule gloire du commandement, ont exterminé tant d’innocents… Depuis ce temps, l’ambition s’est jouée, sans aucune borne, de la vie des hommes ; ils en sont venus à ce point de s’entretuer sans se haïr : le comble de la gloire, et le plus beau de tous les arts a été de se tuer les uns les autres179. » Il est difficile de s’empêcher d’adorer une religion qui met une telle différence entre la morale d’un Bossuet et d’un Tacite.

221. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 20, de la difference des moeurs et des inclinations du même peuple en des siecles differens » pp. 313-319

Qu’on ne dise pas que le motif de religion qui entroit dans les guerres civiles du temps des Valois, envenimoit les esprits, et que ce motif n’entroit pas dans nos dernieres guerres civiles. […] C’est la politique, secondée par l’esprit du siecle, qui a fait commettre toutes ces noirceurs à des gens, dont, pour me servir de l’expression du temps, toute la religion gisoit dans une écharpe rouge ou dans une blanche. […] Avant le protestantisme il s’étoit élevé en France plusieurs contestations en matiere de religion, mais si l’on excepte les guerres contre les albigeois, il n’étoit pas arrivé que ces disputes eussent fait verser aux françois le sang de leurs freres, parce que la même acreté ne s’étoit pas encore trouvée dans les humeurs, ni la même irritation dans les esprits.

222. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Mercier » pp. 1-6

C’était un siècle didactique et corrompu auquel répondaient parfaitement, ce semble, le Tableau de Paris, c’est-à-dire la topographie et la statistique de toutes choses, et ce moraliste sans croyances livré, comme un autre moraliste (Duclos) auquel il ressemble, à ces instincts d’honnêteté grossière qui ne sont rien quand la religion ne les a pas fortifiés. Échappant aux règles du goût par l’excentricité même de sa nature intellectuelle, — car c’est un excentrique que Mercier, et il a je ne sais quoi dans l’esprit qui rappelle la bizarrerie de certaines imaginations anglaises, — méconnaissant l’autre règle de la vie, plus importante que le goût, c’est-à-dire la religion, qui, en nous éclairant le cœur, fait monter la lumière jusqu’à la pensée, Mercier s’adapte exactement à l’époque qu’il a plutôt inventoriée que peinte. […] Avec la religion, avec le goût, lui manque la vie.

223. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

La mort de sa mère (1798), celle d’une sœur, le refont chrétien : il n’a pas besoin de raisons pour croire ; il lui suffit que la religion soit un beau, un doux rêve ; elle participera au privilège que tous les rêves de M. de Chateaubriand possèdent, d’être à ses yeux des réalités. […] Il nie la perfectibilité indéfinie de l’humanité, la bonté de l’homme, le prix de la vie ; il affirme la religion, l’impuissance de la raison, le mystère, le surnaturel. […] Bonaparte et Chateaubriand semblaient s’unir pour relever la religion. […] Il fallait créer un préjugé contraire, rassurer l’amour-propre du Français, affranchir les classes éclairées de la peur du ridicule attaché à la religion, la leur représenter respectable, décente et belle. […] En un sens, Chateaubriand rétablissait la religion sur une équivoque et un malentendu ; il fondait la croyance sur des émotions de poète et d’artiste, et triomphait par un prestige qui éblouissait les esprits.

224. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

L’alvéole, c’est le vers ; le miel, c’est la poésie80. » Les grands poètes, les grands artistes redeviendront un jour les grands initiateurs des masses, les prêtres d’une religion sans dogme81. […] Sous sa forme abstraite, cette représentation est la métaphysique ; sous sa forme imaginative, cette représentation est la poésie, qui, jointe à la métaphysique, remplacera de plus en plus la religion. […] Les idées de Rousseau sur la religion naturelle viennent s’ajouter aux inspirations chrétiennes et platoniciennes : La raison est le culte et l’autel est le monde. […] La vraie poésie est surtout dans les grands symboles philosophiques et même dans les mythes ; l’imagination poétique se confond avec l’imagination religieuse : la poésie est une religion libre et qui n’est qu’à demi dupe d’elle-même ; la religion est une poésie systématisée qui croit réellement voir ce qu’elle imagine et qui prend ses mythes pour des réalités. […] Moins amer que Vigny, mais moins fort aussi, Musset ne se révolte pas, il plie ; il ne méprise pas, il oublie ; ou du moins il essaie d’oublier, et, n’y pouvant parvenir, sa religion, sa philosophie est celle de l’espérance.

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