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458. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Je sais bien qu’il vit à Paris, à peu près comme tout le monde, et je ne prétends pas qu’il adore pour de bon Baghavat ou Bouddha, qu’il laisse pousser indéfiniment les ongles de ses pieds et de ses mains, ni qu’il passe des heures à regarder son nombril. […] La lumière excessive et qui exclut la douceur des pénombres, la végétation exubérante aux contours tranchés, le chatoiement des insectes et des oiseaux précieux, l’attitude et les mouvements des fauves dans la chasse ou dans le sommeil, le jeu des lignes précises dans la clarté uniforme, une vie intense où l’on ne sent pas de bonté, où la rigidité de la flore semble aussi inhumaine que la rapacité de la faune, la tristesse sèche qui vient peu à peu d’un spectacle trop brillant qu’on regarde sans rêver et sans que l’œil puisse se reposer dans le vague  voilà de quoi se composent ces poèmes, aussi barbares vraiment que les autres23. […] Il la regarde, et c’est tout. […] Etre convaincu que toute émotion est vaine ou malfaisante, sinon celle qui procède de l’idée de la beauté extérieure ; regarder et traduire de préférence les formes de la Nature inconsciente ou l’aspect matériel des mœurs et des civilisations ; faire parler les passions des hommes d’autrefois en leur prêtant le langage qu’elles ont dû avoir et sans jamais y mettre, comme fait le poète tragique, une part de son cœur, si bien que leurs discours gardent quelque chose de lointain et que le fond nous en reste étranger ; considérer le monde comme un déroulement de tableaux vivants ; se désintéresser de ce qui peut être dessous et en même temps, ironie singulière, s’attacher (toujours par le dehors) aux drames provoqués par les diverses explications de ce « dessous » mystérieux ; n’extraire de la « nuance » des phénomènes que la beauté qui résulte du jeu des forces et de la combinaison des lignes et des couleurs ; planer au-dessus de tout cela comme un dieu à qui cela est égal et qui connaît le néant du monde : savez-vous bien que cela n’est point dépourvu d’intérêt, que l’effort en est sublime, que cet orgueil est bien d’un homme, qu’on le comprend et qu’on s’y associe ? […] Peut-être aussi qu’à y regarder de près, rien n’égale le tragique rentré, l’amertume intérieure que ce genre de protestation fait deviner.

459. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

Lundi 15 janvier ……………………………………………………………………………………………… « Oui, reprend Dumas avec une conviction désespérée, tous les hommes, la première fois que je les vois, ma première impression est de les regarder comme des coquins… et aussi toutes les femmes comme des coquines. […] Les souvenirs affluent plus nombreux chez mon ami, Nittis se revoit tel qu’il s’est apparu, la première fois, qu’il s’est regardé dans une glace : une petite figure toute pâle, dit-il, de grands cheveux filasse, — lui maintenant si brun ; — une petite blouse noire à pois blancs. […] Nittis a eu, dès l’enfance, une sorte de passion pour les ciels, il me parlait un autre jour, des longs temps qu’il passait à regarder les gros nuages blancs de son pays, qui ne sont pas informes, comme ceux de chez nous, mais qui se modèlent dans le ciel, sous d’innombrables facettes. […] Le soir, dans son atelier, je regardais « La place des Pyramides », qu’il vient de racheter à Goupil, pour la donner au Luxembourg. […] Dimanche 15 juillet Une élégante, chez laquelle je me trouvais, après avoir pendant un quart d’heure blagué la maladie du comte de Chambord, et sa mort future, termine par cette phrase : « J’ai commandé une robe noire, que je porterai, si je ne suis pas en province… vous concevez, à Paris, n’être pas en noir… moi, ce serait ridicule. » Mardi 17 juillet Pendant que j’attendais des livres, dans la salle de lecture de la bibliothèque, je regardais un bossu : tout le haut de la tête d’un bossu, est dans le bas de sa mâchoire.

460. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Or nous ne pouvons pas ne pas regarder comme réel ce qui s’oppose à nous. […] Si encore les plus récentes continuaient celles qui les ont précédées, chaque type supérieur pourrait être considéré comme la simple répétition du type immédiatement inférieur avec quelque chose en plus ; on pourrait donc les mettre tous bout à bout, pour ainsi dire, en confondant ceux qui se trouvent au même degré de développement, et la série ainsi formée pourrait être regardée comme représentative de l’humanité. […] Par exemple, il est évident que, pour le sens commun, les faits de libre pensée ou les manquements à l’étiquette, si régulièrement et si sévèrement punis dans une multitude de sociétés, ne sont pas regardés comme des crimes même par rapport à ces sociétés. […] On en choisit certains, sorte d’élite, que l’on regarde comme ayant seuls le droit d’avoir ces caractères. […] En zoologie, les formes spéciales aux espèces inférieures ne sont pas regardées comme moins naturelles que celles qui se répètent à tous les degrés de l’échelle animale.

461. (1913) La Fontaine « V. Le conteur — le touriste. »

Il regarde si la pluie N’a point gâté quelque peu Un arc dont je me méfie. […] Du lieu où nous regardions ces statues, on voit à droite une fort longue pelouse et ensuite quelques allées profondes, couvertes, agréables et où je me plairais extrêmement à avoir une aventure amoureuse ; en un mot de ces ennemies du jour tant célébrées par les poètes : à midi véritablement on y entrevoit quelque chose, Comme au soir, lorsque l’ombre arrive en un séjour, Ou lorsqu’il n’est plus nuit et n’est pas encor jour. […] La Fontaine regarde la Loire du haut du pont d’Orléans : « Les voiles des bateaux sont fort amples, cela leur donne une majesté, de la vie, et je m’imaginai voir le port de Constantinople en petit. […] Non loin de là, nous aperçûmes quelques Philis, je veux dire Philis d’Egypte [Egyptiennes, bohémiennes, évidemment], qui venaient vers nous dansant, folâtrant, montrant leurs épaules et traînant après elles des duègnes détestables à proportion, et qui nous regardaient avec autant de mépris que si elles eussent été belles et jeunes. […] Mais est-il un psychologue, cest-à-dire un homme qui étudie les hommes et qui les regarde, non pas dans leurs vertus ou dans leurs vices généraux, mais en eux-mêmes, particulièrement et individuellement, comme un La Bruyère, est-il cet homme-là ?

462. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Nous regardions les autres avec une certaine inquiétude, en nous demandant : « Eh quoi ! […] — Il nous regarda de ses yeux bleus, effarés et troubles, et nous répondit avec un soupir : « Oh ! […] Des groupes nombreux stationnaient sur le boulevard et, ne pouvant avoir de place, regardaient entrer les favorisés. […] et celui qui, par don fatal, ne peut vieillir, est regardé avec une sorte d’étonnement par les générations nouvelles. […] Pour se convaincre du contraire, il suffit de regarder, dans les jardins publics, ces grands caniches sculptés, posés sur des piédestaux aux angles des terrasses et des rampes.

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