Chaque trait s’ajoute à son tour, et prend place de lui-même dans cette physionomie qu’on essaye de reproduire ; c’est comme chaque étoile qui apparaît successivement sous le regard et vient luire à son point dans la trame d’une belle nuit. […] Tantôt, comme dans l’entretien avec la maréchale de Broglie, c’est un jeune Mexicain qui, las de son travail, se promène un jour au bord du grand Océan ; il voit une planche qui d’un bout trempe dans l’eau et de l’autre pose sur le rivage ; il s’y couche, et, bercé par la vague, rasant du regard l’espace infini, les contes de sa vieille grand’mère sur je ne sais quelle contrée située au-delà et peuplée d’habitants merveilleux lui repassent en idée comme de folles chimères ; il n’y peut croire, et cependant le sommeil vient avec le balancement et la rêverie, la planche se détache du rivage, le vent s’accroît, et voilà le jeune raisonneur embarqué. […] Pourtant, dans un ouvrage qu’il composa durant sa vieillesse et peu d’années avant de mourir, l’Essai sur la Vie de Sénèque, il s’est plu à traduire le passage suivant d’une lettre à Lucilius, qui le transporte d’admiration : « S’il s’offre à vos regards une vaste forêt, peuplée d’arbres antiques, dont les cimes montent aux nues et dont les rameaux entrelacés vous dérobent l’aspect du ciel, cette hauteur démesurée, ce silence profond, ces masses d’ombre que la distance épaissit et rend continues, tant de signes ne vous intiment-ils pas la présence d’un Dieu ?
Ses yeux ne se hasardaient guère au-delà, dans le territoire interdit et dangereux des choses d’État ; à peine s’il y coulait un regard furtif et rare ; les affaires publiques étaient « les affaires du roi ». — Point de fronde alors, sauf dans le barreau, satellite obligé du Parlement et entraîné dans son orbite. […] Voilà donc le bourgeois qui relève la tête et qui commence à considérer de près la grande machine dont le jeu, dérobé à tous les regards vulgaires, était jusqu’ici un secret d’État. […] Quoi de plus séduisant pour le Tiers Non seulement cette théorie a la vogue, et c’est elle qu’il rencontre au moment décisif où ses regards, pour la première fois, se lèvent vers les idées générales ; mais de plus, contre l’inégalité sociale et contre l’arbitraire politique, elle lui fournit des armes, et des armes plus tranchantes qu’il n’en a besoin.
On se demande comment ces graves ladyes qui dans les entretiens vulgaires s’offensent de tout propos léger, du plus innocent badinage, qui dans un musée baissent leurs chastes regards devant l’Apollon du Belvédère, s’accommodent pourtant des licences de Shakespeare et prêtent une oreille attentive à ses plaisanteries, plus souvent obscènes qu’ingénieuses. […] l’on veut que l’ombre de Banquo m’apparaisse au festin de Macbeth, qu’invisible à tous les convives, elle frappe immédiatement mes regards, comme ceux de Macbeth lui-même ! […] vous l’avez rendu à la vie peut-être : de votre part un ressuscité ne m’étonnerait pas plus qu’un revenant ; et comme je me persuade que les hôtes de Macbeth sont, ainsi que moi, doués de la faculté de voir, je ne puis vous dire combien il me faut de réflexions avant de comprendre pourquoi, dans votre sagesse, vous donnez à mes regards plus de puissance, ou plus d’égarement qu’aux leurs.
Je le répète, tout cela n’est pas le fruit d’une démonstration isolée ; tout cela est le résultat du regard net et franc jeté sur le monde, des habitudes intellectuelles créées par les méthodes modernes. […] Non ; c’est par l’expérimentation universelle de la vie, c’est en poussant ma pensée dans toutes les directions, en battant tous les terrains, en secouant et creusant toute chose, en regardant se dérouler successivement les flots de cet éternel océan, en jetant de côté et d’autre un regard curieux et ami. […] Tantôt je me console en jetant un regard sur ce chef-d’œuvre ; tantôt je l’embrasse, et je m’écrie en soupirant : Grand homme !
Au regard historique, il n’est point de société dans la formation de laquelle il n’entre à quelque degré, et dans nombre de cas, loin qu’il entraîne des conséquences défavorables, on va voir qu’il est un des éléments constitutifs de la réalité sociale ou l’un des artifices grâce auxquels elle s’est fortifiée. […] Chaque famille ayant un ancêtre distinct, c’est aux seuls descendants de cet ancêtre qu’il incomba d’apporter au mort le repas funèbre, d’entretenir la flamme du foyer, qui, enfermé dans l’intérieur de la maison, à l’abri des regards de l’étranger, avait été sans doute, aux premiers temps élevé, au-dessus de la première tombe familiale. On voit de suite de quelle importance fut la perpétuité de la famille au regard d’une telle croyance.