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510. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Les enfants et les sages ont de grandes ressemblances, et le chef-d’œuvre de la raison est de ramener à ce que fait la nature. […] Le législateur prend les hommes en masse, le moraliste un à un ; le législateur doit s’occuper de la nature des choses, le moraliste de la diversité des sensations ; enfin, le législateur doit toujours examiner les hommes sous le point de vue de leurs relations entre eux, et le moraliste considérant chaque individu comme un ensemble moral tout entier, un composé de plaisirs et de peines, de passions et de raison, voit l’homme sous différentes formes, mais toujours dans son rapport avec lui-même. […] Newton n’eût pas osé tracer les bornes de la pensée, et le pédant que je rencontre veut circonscrire l’empire des mouvements de l’âme ; il voit qu’on en meurt, et croit encore qu’on se serait sauvé en l’écoutant : ce n’est point en assurant aux hommes que tous peuvent triompher de leurs passions, qu’on rend cette victoire plus facile ; fixer leur pensée sur la cause de leur malheur, analyser les ressources que la raison et la sensibilité peuvent leur présenter ; est un moyen plus sûr, parce qu’il est bien plus vrai. […] Les vérités d’un certain ordre sont à la fois conseillées par la raison et inspirées par le cœur ; il est presque toujours de la politique d’écouter la pitié ; il n’y a pas de milieu entre elle et le dernier terme de la cruauté, et Machiavel, dans le code même de la tyrannie, a dit : qu’il fallait savoir s’attacher ceux qu’on ne pouvait faire périr . […] La plupart des gouvernements sont vindicatifs, parce qu’ils craignent, parce qu’ils n’osent être cléments ; vous, qui n’avez rien à redouter, vous, qui devez avoir pour vous la philosophie et la victoire, soulagez toutes les infortunes véritables, toutes celles qui sont vraiment dignes de pitié ; la douleur qui accuse, est toujours écoutée ; la douleur a raison contre les vainqueurs du monde ; que veut-on, en effet, du génie, des succès, de la liberté, des républiques, qu’en veut-on, quelques peines de moins, quelques espérances de plus ?

511. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

Rien, en effet, ne rend les hommes plus sociables, n’adoucit plus leurs mœurs, ne perfectionne plus leur raison, que de les rassembler pour leur faire goûter ensemble les plaisirs purs de l’esprit. Je regarde, dit Voltaire, la tragédie et la bonne comédie comme des leçons de vertu, de raison et de bienséance. […] Le précepte d’Horace y est formel ; et quand Horace ne l’aurait point dit, la raison le dit assez. […] La raison de tout cela est dans l’imitation. […] En conséquence, on distribue les scènes de chaque acte, faisant venir pour chacune les personnages qui y sont nécessaires ; observant qu’aucun ne s’y montre sans raison, n’y parle que conformément à sa dignité, à son caractère, n’y dise que ce qui est convenable et qui tend à augmenter l’intérêt de l’action.

512. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface de la seconde édition »

Et c’est précisément pour cette raison qu’il s’est fondé au cours de ce siècle une psychologie objective dont la règle fondamentale est d’étudier les faits mentaux du dehors, c’est-à-dire comme des choses. […] De plus, alors même que nous avons collaboré à leur genèse, c’est à peine si nous entrevoyons de la manière la plus confuse, et souvent même la plus inexacte, les véritables raisons qui nous ont déterminé à agir et la nature de notre action. Déjà, alors qu’il s’agit simplement de nos démarches privées, nous savons bien mal les mobiles relativement simples qui nous guident ; nous nous croyons désintéressés alors que nous agissons en égoïstes, nous croyons obéir à la haine alors que nous cédons à l’amour, à la raison alors que nous sommes les esclaves de préjugés irraisonnés, etc. […] Ainsi se trouve justifiée, par une raison nouvelle, la séparation que nous avons établie plus loin entre la psychologie proprement dite, ou science de l’individu mental, et la sociologie. […] Il n’y a, en effet, rien d’inconcevable à ce qu’il puisse être caractérisé de plusieurs manières différentes ; car il n’y a pas de raison pour qu’il n’ait qu’une seule propriété distinctive6.

513. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Bernardin de Saint-Pierre remarque avec raison que l’usage du feu accordé à l’homme et refusé aux animaux mettait seul entre lui et eux une distance infinie. […] Bailly a très bien remarqué que l’absurdité même de certaines fables prouve qu’elles n’ont pas été inventées : c’est un langage hiéroglyphique dont nous n’avons plus la clef, dont nous ignorons les racines ; et c’est aussi la raison qui a déterminé quelques archéologues à croire la langue écrite douée d’une telle énergie. […] IX Dans l’état de société, ainsi que nous l’avons remarqué, les générations se succédant sans interruption, et se croisant les unes les autres, la raison de se soumettre à une loi n’est jamais suspendue, ne cesse jamais de subsister. […] Il a bien raison, car le consentement des peuples constitue la liberté. […] Si une fois elle veut consentir à l’affranchissement des catholiques, je pense qu’elle n’aura plus de raison pour continuer de professer une telle hérésie sociale, et qu’elle rentrera, à cet égard, dans la grande orthodoxie du genre humain.

514. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Non seulement donc, c’est une anxiété sans raison, une panique inouïe de la part d’un écrivain qui, quoique femme, passait pour avoir la virilité du courage, mais c’est aussi envers son temps et la Critique de son temps une ingratitude, plus injustifiable encore, qui lui a fait commettre ce dernier livre. […] Elle écrit, elle ne sait pourquoi, sans rime ni raison, comme elle dit : Le Secrétaire Intime. […] Elle lui a tant et tant répété qu’elle avait du génie, que cette âme modeste a fini par le croire et même qu’elle avait le plus beau des génies, le génie qui n’a sa raison d’exister dans aucun effort de facultés, et n’est, comme Dieu, simplement que parce qu’il est. […] En somme, Mme George Sand a-t-elle eu raison de publier ces impressions littéraires ? […] Elle n’est, si vous Técoatez, qu’une aimable rêveuse, vierge de tout ce qu’on lui reproche ; qui a commencé par pondre, sans rime ni raison, des romans pour ces vilains hommes, et qui berquinant sur le tard de la vie, pond pour ses enfants des comédies que ces vilains hommes incorrigibles trouvent charmantes ] Elle n’a jamais pensé qu’à l’Art et au plaisir de faire des contes, et ce n’en est pas un qu’elle nous fait là !

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