Cela se retrouve chez lui dans les petites pièces comme dans les grandes ; ainsi, dans ce sonnet au cardinal de Richelieu : « À ce coup, nos frayeurs n’auront plus de raison… » Le sonnet, la chanson même chez Malherbe ont de la tournure et de la fierté : cela dure peu, la voix chez lui se casse vite, mais le ton est donné. […] On a dit de nos jours avec un grain de malice et un coin de vérité : « La poésie française, au temps de Henri IV, était comme une demoiselle de trente ans qui avait déjà manqué deux ou trois mariages, lorsque, pour ne pas rester fille, elle se décida à faire un mariage de raison avec M. de Malherbe, lequel avait la cinquantaine. » Mais ce ne fut pas seulement un mariage de raison que la poésie française contracta alors avec Malherbe, ce fut un mariage d’honneur. […] Ce n’est point le poète qui est censé parler dans ces vœux et dans ces jouissances anticipées de bonheur champêtre : c’est un usurier, Alfius, qui, tout d’un coup épris, pour une raison qu’on ne dit pas, d’un merveilleux amour des champs, veut quitter les affaires et la Bourse de Rome pour aller cultiver la terre de ses mains et pratiquer la douceur des géorgiques : mais cette belle disposition ne tient pas ; le naturel l’emporte, et tous ces fonds qu’Alfius a retirés le 15 du mois, il cherche à les replacer dès le 1er du mois suivant. […] Tu vois de près ta dernière saison ; Tout le monde connaît ton nom et ton visage, Et tu n’es pas connu de ta propre raison.
Il n’y a plus, après cela, qu’à tirer l’échelle de ce côté : mais, de l’autre, les autorités et les raisons ne sont pas moindres. […] Après une prose très simple (le grec du Nouveau Testament), il met son enfant aux auteurs plus relevés, aux poètes surtout, et à Homère presque aussitôt : Or, il est à propos, dit-il, de vous avertir d’une chose à laquelle personne ne songe ; peut-être même qu’elle vous paraîtra peu vraisemblable, quoiqu’au reste elle soit très véritable et que mon expérience, la pratique des anciens, l’utilité et la raison le prouvent : cette vérité surprenante, c’est que la lecture d’Homère est plus convenable à l’âge des enfants que la lecture des grands auteurs prosaïques108. […] Différent d’opinion avec elle sur un point délicat qui touche à la réputation de l’antique Lesbienne, il s’exprime avec une politesse et une galanterie inusitées chez les commentateurs : « Mlle Le Fèvre, dit-il, a eu sans doute ses raisons pour n’être pas de ce sentiment, et il faut avouer qu’elle a donné au sien toute la couleur qu’il était possible de lui donner. » Enfin, de même que deux jeunes cœurs se font des signes d’une fenêtre à l’autre ou à travers le feuillage des charmilles, Mlle Le Fèvre et M. […] Là, pendant plus d’une année, ils suivirent leur méthode studieuse en la transportant et la renfermant cette fois dans les matières de religion, et ils tombèrent tout à fait d’accord sur la conduite qu’ils avaient à tenir ; mais ils voulurent faire plus, ils aimèrent mieux différer de quelques mois leur déclaration publique, et ils s’appliquèrent dans l’intervalle à user de leur influence, de l’estime qu’ils inspiraient et des raisons dont ils étaient remplis, pour ramener la ville entière avec eux. […] Mais Mme Dacier avait pleinement raison lorsqu’en venant à la diction d’Homère, elle déclarait que ce qui l’avait le plus effrayée, c’était la grandeur, la noblesse et l’harmonie de cette diction dont personne n’a approché, « et qui, disait-elle, est non seulement au-dessus de mes forces, mais peut-être même au-dessus de celles de notre langue ».
Nous sommes jeunes, mon cher Mirabeau ; et, quoique la vie soit courte, elle peut sembler bien longue, dans de certains engagements ; aussi, je crois qu’on n’en doit prendre que par raison, et le plus tard qu’on peut. […] Mirabeau toujours préoccupé de l’idée que Vauvenargues n’est pas ambitieux, qu’il est philosophe par tempérament et par choix (il le juge trop sur la mine, et par le dehors), qu’il est porté à l’inaction et au rêve, le presse souvent et dans les termes d’une cordiale amitié de se proposer un plan de vie, un but, de ne plus vivre au jour la journée : « Nous avons besoin de nous joindre, mon cher ami ; vous appuieriez sur la raison, et je vous fournirais des idées. » Vauvenargues décline ce titre de philosophe auquel, dit-il, il n’a pas droit : Vous me faites trop d’honneur en cherchant à me soutenir par le nom de philosophe dont vous couvrez mes singularités ; c’est un nom que je n’ai pas pris ; on me l’a jeté à la tête, je ne le mérite point ; je l’ai reçu sans en prendre les charges ; le poids en est trop fort pour moi. […] La raison et vos conseils pourront alors beaucoup sur moi ; il est vrai qu’il sera bien tard ! […] Sous l’impression de cette attaque, il jette sur le papier quantité de bonnes raisons qui lui sont familières, de ces réflexions dont il est rempli sur l’ambition et sur les plaisirs ; il les approprie à leur situation à tous deux. […] lui qui croit sentir mieux que Mirabeau ce que c’est que l’ambition et la grande, ce que c’est qu’être acteur tout de bon dans ce monde ; qui ne ferait pas fi de cette scène de la Cour s’il y était ; qui ne verrait dans ce Versailles même qu’un vaste champ ouvert à ses talents de toute sorte, y compris l’insinuation et le manège (l’honnête manège, comme il l’entend et dont il se pique avec un reste d’ingénuité), il éclate et tire le rideau de devant son cœur, par une admirable lettre, qui sera suivie de plusieurs autres pareilles ; de sorte que Mirabeau, arrivé en cela à ses fins, a raison de s’écrier : « Ne vous lassez pas de m’en écrire… Je vous aurai par morceaux, mon cher Vauvenargues, et quelque jour je vous montrerai tout entier à vous-même. » Ces lettres, en effet, qui sont mieux que des pages d’écrivain, manifestent l’âme même de l’homme, l’âme virile dans sa richesse première et à l’heure de son entrée en maturité.
« Mon amie, nous dit Alfieri, en donnant les raisons qu’il avait de faire ce voyage, désirait aussi voir l’Angleterre, pays qui diffère si fort de tous les autres. » Arrivée à Londres, elle poussa la curiosité jusqu’à désirer de plus être présentée à la Cour. […] J’ai défendu l’éloquence de Mme de Staël : eh bien, à votre tour, défendez et maintenez envers et contre tous le bon sens et la raison de Mme d’Albany. […] Je ne suis pas de ceux qui veulent à tout prix des mensonges, ni qu’on leur crée des existences fabuleuses et plus belles qu’elles ne l’ont été de leur temps ; mais quand je rencontre quelque part, dans un passé encore voisin de nous et si aisé à vérifier, de ces vies paisibles, ornées, décorées de grâce et de courtoisie, et jalouses d’en répandre le reflet autour d’elles ; quand, au milieu de cet envahissement comme forcené d’ambition, d’activité et d’industrie qui nous pousse et nous déborde en tout genre, je découvre, en me retournant, une île enviable et fortunée, une oasis d’art, de littérature, d’affection et de poésie, je demande qu’on n’en diminue pas le tableau à mes yeux sans de bonnes et fortes raisons, et que ceux qui sont dignes d’apprécier ce cercle heureux et de le peindre nous le rendent, ainsi que la noble figure qui y préside, avec tout le charme qui s’y attachait réellement, et dans un miroir non terni, dans une glace pure, unie et fidèle. […] elle s’en garda bien, elle resta digne, fidèle au nom dont elle soutenait l’honneur par ses talents et par sa haute raison : elle eût près d’elle, dans les dernières années de sa maturité et jusque dans son extrême vieillesse, un ami constant, fidèle et sur, un autre Fabre, Fauriel. […] Et quand les choses se sont ainsi passées d’une manière presque semblable, dans des circonstances analogues, c’est qu’il y avait raison, c’est qu’il y a excuse pour qu’il en soit ainsi.
Fromentin se déclare contre, par la raison, dit-il, « que les hommes de génie ont toujours raison, et que les gens de talent ont souvent tort » : « Costumer la Bible, ajoute-t-il, c’est la détruire ; comme habiller un demi-dieu, c’est en faire un homme. […] Comme, à toute force, il faut vêtir l’idée, les maîtres ont compris que dépouiller la forme et la simplifier, c’est-à-dire supprimer toute couleur locale, c’était se tenir aussi près que possible de la vérité… » S’il m’est permis d’avoir un avis en telle matière, je ne trouve pas que les raisons de M. […] Non, sans doute ; mais si l’on ne peut restituer la vérité et la couleur locale, parce qu’on n’est pas en présence du pur costume hébreu et qu’on peut toujours révoquer en doute la parfaite similitude du costume arabe moderne avec celui des patriarches, est-ce une raison pour trouver que Raphaël et Poussin aient fait pour le mieux, et que moins ils ont été fidèles en cela à la réalité, plus ils ont agi selon l’art ? […] Oui, nous dit-il, et il en donne les raisons : « Peut-être m’eut-il été possible d’entrer dans la mosquée : mais je ne l’essayai point.