Quant à l’homme de la Renaissance, vous savez si personne a jamais exprimé aussi bien que Shakespeare ses ardeurs, ses passions, ses désirs, ses chimères et ses rêves. […] L’audace de ses rêves et l’immoralité de ses actes font peur, mais non pitié ; son origine est infâme, mais non vulgaire. […] Elle doit participer de la nature de l’illusion que créent les rêveries de la veille, et non de la nature de l’illusion que créent les rêves du sommeil. […] Il ne pleure pas seulement le rêve de son amour évanoui, il pleure aussi sa gloire détruite et ses triomphes découronnés. […] Rien n’indique qu’un être quelconque ait vécu la minute précédente, si ce n’est une douleur cuisante à la main qui a touché ce rêve évanoui.
Ucalegon…………………………………………………… Et il se met à parler, avec enthousiasme, de Théocrite, du rêve du poisson d’or, des pêcheurs dans leur cabane, si naturalistement décorée de filets. […] Et ce qu’il y a de particulier dans ces cauchemars, c’est toute cette humanité de rêve que j’y rencontre : ces visages de vieillards, d’hommes faits, d’enfants, si sournois, si impitoyablement gouailleurs, si méchamment fermés, ces visages diplomatiques, d’un machiavélisme que montrent seulement les plus mauvaises figures de la vraie humanité, et qui vous laissent la sensation d’une intimidation, douloureusement indéfinissable, — des figures que je voudrais décrire, le matin, si le rêve ne vous laissait pas des êtres qu’il fabrique, des impressions, si effacées, si délavées.
Il est touchant de penser dans quelle situation particulière naquirent ces êtres si charmants, si purs, ces personnages nobles et sans tache, ces sentiments si frais, si accomplis, si tendres ; comme Mme de La Fayette mit là tout ce que son âme aimante et poétique tenait en réserve de premiers rêves toujours chéris, et comme M. de La Rochefoucauld se plut sans doute à retrouver dans M. de Nemours cette fleur brillante de chevalerie dont il avait trop mésusé, et, en quelque sorte, un miroir embelli où recommençait sa jeunesse117. […] On sent qu’on a vécu jusque-là dans l’illusion et le mensonge ; qu’on s’est nourri de viandes en peinture ; qu’on n’a pris de la vertu que l’ajustement et la parure, et qu’on en a négligé le fond, parce que ce fond est de rapporter tout à Dieu et au salut, et de se mépriser soi-même en tout sens, non par une vanité plus sage et par un orgueil plus éclairé et de meilleur goût, mais par le sentiment de son injustice et de sa misère. » Le reste de la lettre est également admirable, et de ce ton approprié et pressant. — Ainsi, vous qui avez rêvé, cessez vos rêves !
Voilà le fondement de l’accusation contre lui ; il s’agit de savoir quel supplice mérite un tel crime. » Cette lettre, récemment découverte, était adressée au prieur des Saints-Apôtres de Padoue ; elle atteste avec quelle aspiration puissante l’imagination italienne du moyen âge, même dans le clergé papal, remontait à l’antique liberté, bien que cette liberté ne fût plus que le rêve de ses poètes. […] les mêmes raisons ne subsistent plus ; les nœuds qui me liaient sont brisés, les yeux auxquels je voulais plaire sont fermés ; rien ne me plaît davantage que d’être dégagé de tous liens et libre… Je me lève à minuit, je sors à la pointe du jour, j’étudie dans la campagne comme dans ma chambre, je lis, j’écris, je rêve ; je parcours tout le jour des montagnes pelées, des vallées humides, des cavernes secrètes ; je marche souvent sur les deux bords de la Sorgues seul avec mes soucis.
Ces perspectives du cœur sont les beaux rêves de la vie : rêver beau, c’est le bonheur. — Et c’est aussi la vertu, dit le chanoine. — Rêvons donc », dit Léna. […] m’écriai-je tout bas, belle halte de ma jeunesse, où j’ai fait plus de rêves impossibles qu’il n’y a de stances dans le poète de Ferrare, d’étoiles dans cette voie lactée, de fleurs sur les orangers de la terrasse, de gouttes jaillissantes dans le bassin des trois jets d’eau !